Vostok | 2 janvier 1959

Le 4ème lanceur Vostok (8K72 n°Б1-6) a décollé du pas de tir n°5 (17P32-5) de la zone n°1 du cosmodrome de Baïkonour le 2 janvier 1959 à 16h41'24" GMT.

La charge utile, constituée de la sonde lunaire Luna-1, a été placée sur une orbite intermédiaire à environ 300km d'altitude, puis le Bloc E (8K72E) a été mis en service. Il a fonctionné jusqu'à H0+731,8" et a permis à Luna-1 d'atteindre la deuxième vitesse cosmique, ce qui constitue une première mondiale [4].

La sonde était censée s'écraser sur la Lune mais, du fait d'un Delta-V trop important donné par le lanceur Vostok, sa trajectoire est sensiblement déviée. Deux incidents sont également à noter : le système de télémétrie RTS-12B ne fonctionne pas (le système Jupiter-1, lui, fonctionne), et Luna-1 ne s'est pas séparée de son Bloc E [1].

Le 3 janvier 1959, à 00h56'20" GMT, le Bloc E relâche un nuage de sodium alors qu'il se trouve à une distance de 113.000km de la Terre [4]. Le 4 janvier 1959, à 02h59 GMT, Luna-1 passe à sa distance minimale de la Lune, soit environ 5995km [1].

Fig. 1 : Schéma de la trajectoire de Luna-1.
Crédit : DR.

Elle cesse d'émettre le 5 janvier 1969, à H0+62h et à une distance de 597.000km de la Terre, du fait de l'épuisement de la batterie. Elle est alors sur une orbite solaire (146.400.000km x 197.200.000km), ce qui lui vaut le surnom de première planète artificielle.

Fig. 2 : Schéma de l'orbite finale de Luna-1.
Crédit : DR.

Luna-1

Il s'agit de la quatrième sonde lunaire de classe E-1 (E-1 n°4). La partie haute, constituée du Bloc E et de la sonde, a une masse au lancement de 7984kg, dont 6512kg d'ergols et 1472kg de masse sèche [4]. La sonde elle-même a une masse de 361,3kg [1].

Les causes de l'échec

Sur les précédentes versions du lanceur, le moteur RD-108 (8D75) du Bloc A était mis hors service automatiquement par le système de contrôle, qui intégrait l'accélération longitudinale pour en déduire l'instant où le moteur devait être arrêté [3]. Mais pour le lanceur Vostok, équipé d'un troisième étage, la précision de la mise à l'arrêt du RD-108 est plus importante, car elle conditionne la suite du vol. Sur le Vostok, l'arrêt du RD-108 est donc commandé par radio depuis les stations de poursuite (RUP), qui mesurent la position et la vitesse du lanceur pendant toute sa phase propulsée [3][5].

Le plan de vol du Vostok commence par une phase où l'angle de tangage varie, et où les RUP ne communiquent pas avec le lanceur. Les RUP commencent à communiquer à partir de H0+110", quand l'angle de tangage cesse de varier et se fixe à la valeur de 42°. Entre H0+300" et H0+310", une première commande, dite préliminaire, provoque l'arrêt du RD-108, et une seconde commande, dite principale, provoque l'arrêt des moteurs verniers [5].

Le 1er janvier 1959, un certain lieutenant VACHTCHOUK [7] règle l'antenne du radiogoniomètre dans le cadre des préparatifs du lancement de Luna-1. Mais il oriente l'antenne à 44° au lieu de 42°. Du fait des fêtes liées au Nouvel An, personne ne contrôle son travail. A cause de cette erreur de réglage, le radiogoniomètre reçoit les données du lanceur avec un décalage de 2°. Le calculateur en déduit que le lanceur est sur une trajectoire incorrecte, et il n'envoie pas la commande d'arrêt du moteur RD-108 car il attend que la trajectoire soit corrigée. L'erreur de réglage a été découverte par le lieutenant-chef Nikolaï Leonidovitch SEMIONOV [6].

La deuxième vitesse cosmique devait être atteinte avec un dV=134m/s, ce qui aurait dû amener Luna-1 à percuter la Lune 35 heures 28 minutes et 3 secondes après le lancement. Or, comme le moteur RD-108 n'a pas été arrêté, il a fonctionné jusqu'à épuisement des ergols. En conséquence, la partie haute a reçu un Delta-V plus important que prévu (dV=175m/s, soit 41m/s de trop) [4].

La communication avec le public

Quelques instants après le lancement, il apparaît que la sonde Luna-1 ne pourra pas remplir son objectif principal, à savoir impacter la Lune, et Sergueï KOROLIOV doit donc en référer aux dirigeants du pays. Il commence par appeler Sergueï Ivanovitch VETOCHKINE, le directeur adjoint de la Commission Militaro-industrielle (VPK). Boris POKROVSKI, du NII-4, raconte le dialogue [8] :

- Serguei Ivanovitch, dit KOROLIOV sur un ton inquiet en commençant sa conversation téléphonique avec VETOCHKINE, d'après les prévisions des balisticiens, l'impact sur la Lune n'aura probablement pas lieu. Je pense que le communiqué TASS, tel qu'il a été préparé, ne doit pas être publié.

- Sergueï Pavlovitch, dit VETOCHKINE après une pause interminable, rappelez-moi dans dix minutes.

[...] VETOCHKINE décide ensuite de composer le numéro, qu'il connait bien, du secrétaire du Comité central pour l'industrie de Défense [Léonid Ilitch BREZHNEV, NdT].

- Bonjour Leonid Ilitch, a commencé VETOCHKINE. KOROLIOV m'a informé que l'impact sur la Lune est peu probable. De ce fait, je vous demande la permission de modifier le communiqué TASS.

- Tu sais quoi, Sergueï Ivanovitch, a répondu lentement BREZHNEV [...], il vaut mieux que tu appelles le Premier Secrétaire [Nikita Sergueïevitch KHROUCHTCHEV, NdT]. Au revoir.

- Mettez-moi en relation avec Nikita Sergueïevitch, s'il vous plait, demande VETOCHKINE.

- Je ne peux pas, le camarade KHROUCHTCHEV est en train de discuter avec le camarade Maurice THOREZ.

Les Communistes français préparaient leur XVème Congrès, et les Soviétiques, leur XXIème. Néanmoins, VETOCHKINE explique l'urgence de cette affaire. BREZHNEV répond donc à VETOCHKINE :

- Ils sont à la datcha. Ne fais rien, [...] je les appelle.

Et c'est ainsi que le communiqué officiel de l'agence TASS a été reformulé, et annonce simplement que la « première fusée spatiale » devrait passer à proximité de la Lune et devenir un satellite artificiel du Soleil.

Fig. 3 : Communiqué publié dans la Pravda le 4 janvier 1959.
Crédit : DR.

Fig. 4 : La une du Los Angeles Times du 3 janvier 1959.
Crédit : DR.

Déclaration du Président Dwight EISENHOWER du 3 janvier 1959 :

The successful launching, as announced by the Soviets, of a vehicle designed to pass near the moon, represents a great stride forward in man's advance into the infinite reaches of outer space. To the scientists and engineers assigned to this undertaking, a full measure of credit is due and we congratulate them on this achievement.

Bibliographie

[1] POROCHKOV, V., Ракетно-космический подвиг Байконура
[2] IVKINE, V., Задача особой государственной важности (document n°22)
[3] TCHERTOK, B., Ракеты и люди, vol. 2, p. 243
[4] BATOURINE, Советская космическая инициатива в государственных документах, p. 83
[5] Пункты радиоуправления - РУПы Байконура [en ligne], consulté le 19/10/2014
[6] POROCHKOV, Ibid., p. 126
[7] АНУФРИЕНКО, E., Моя первая жизнь, p. 469
[8] POKROVSKI, B., Космос начинается на земле, p. 234


Dernière mise à jour : 19 octobre 2014