Proton-K | 11 mai 1973

Le 35ème lanceur Proton-K (8K82K n°284-01) a décollé du pas de tir n°23 de la zone n°81 (8P882K) du cosmodrome de Baïkonour le 11 mai 1973 à 00h20'00" GMT.

La charge utile était constituée de la station orbitale Cosmos 557, qui a été placée avec succès sur une orbite basse (218km x 266km x 51,6°).

La campagne de lancement

La station a été envoyée à Baïkonour en décembre 1972. Le lanceur a été transféré sur le pas de tir le 4 mai 1973 [2]. Le lancement était prévu à l'origine pour le 8 mai 1973, mais a été reporté de trois jours suite à l'inétanchéité d'une vanne de N2O4 sur le premier étage [2]. Les réservoirs ont dû être vidangés et la vanne a été remplacée sur le pas de tir sous la direction d'A.I. KISSELIOV [1].

Suite à cet incident, V.P. MICHINE a demandé de retirer le lanceur et d'en utiliser un autre, mais cela n'a finalement pas été jugé nécessaire [1].

Cosmos 557

Il s'agit de la troisième station orbitale DOS (17K n°12301). Après le succès de sa mise sur orbite, à 00h32 GMT, la station NIP-15 d'Oussouriïsk envoie la commande d'activation du système d'orientation ionique en mode forte poussée [3].

Fig. 1 : Carte des stations de poursuite (NIP) qui sont intervenues dans le vol de DOS-3.
Crédit : DR.

La procédure d'origine demandait d'activer le système en mode faible poussée, mais elle avait été modifiée avant le lancement par des ingénieurs du TsKBEM qui craignaient que le mode faible poussée ne permette pas de rehausser l'orbite assez rapidement. En effet, la masse de la station étant à l'extrême limite des capacités du lanceur Proton-K, l'orbite atteinte est très basse et ne donne que trois à quatre jours de durée de vie à la station [3]. Il est donc urgent de procéder à la première rehausse.

Mais ce que les ingénieurs du TsKBEM ignorent, c'est que le nouveau système d'orientation de la station, basé sur des capteurs ioniques, ne fonctionne pas. Les capteurs doivent détecter le flux d'ions dans l'environnement de la station afin d'en déduire l'orientation de celle-ci. Le système de contrôle se base sur cette information pour mettre les moteurs en service afin de modifier l'orientation. Mais les jets des moteurs perturbent les capteurs beaucoup plus que prévu. Ainsi, plus le système de contrôle tente de corriger l'orientation, plus il fausse les mesures, et plus il va tenter de modifier l'orientation [4].

En théorie, après avoir envoyé la commande d'orientation, l'équipe du NIP-15 avait largement le temps de détecter que le système d'orientation ne fonctionnait pas comme prévu. Mais afin de réduire le risque d'erreur humaine dans les équipes de suivi de la station, un contrôle qualité très rigoureux avait été mis en place. Les opérateurs de télémesure, situés dans un autre bâtiment, recevaient les informations, les traitaient, les enregistraient, les faisaient valider par leur hiérarchie et, après seulement, les transmettaient aux équipes techniques [3].

Quand les informations arrivent à l'ingénieur du NIP-15, ce dernier s'aperçoit que le système d'orientation fonctionne en mode forte poussée et que la vitesse de rotation de la station est dix fois plus importante que prévu. Il cherche alors à avertir l'équipe de direction du vol au NIP-16 mais, là encore, c'est un processus long et fastidieux. Il doit écrire un télégramme, le faire valider par son responsable, le faire coder et le transmettre au groupe de liaison. Il est alors envoyé au NIP-16, où il est imprimé et collé sur une feuille blanche [3].

Quand tout ce processus est terminé, la station est déjà arrivée dans la zone de visibilité du NIP-16, à la fin de sa première orbite. L'équipe de direction constate alors que la consommation d'ergols est anormalement élevée : la pression dans les réservoirs est déjà tombée de 304atm à 270atm [2]. Mais elle conclut que la télémesure doit être défaillante. Seuls deux ingénieurs ont un doute et se rendent dans le bâtiment de la télémesure - ce qui était interdit - afin de contrôler les données. Ils réalisent que la consommation d'ergols est réellement élevée et décrochent un téléphone pour alerter les responsables qu'il est urgent d'arrêter les moteurs. Mais le téléphone ne fonctionne pas [3].

Ils courent littéralement voir l'équipe de direction et informent le directeur de vol, Yakov TREGOUB. Ce dernier décide toutefois de ne pas prendre le risque de perdre la station en annulant la manœuvre de rehausse d'orbite, et il ne tient donc pas compte de l'alerte des deux ingénieurs. Il change d'avis quelques instants plus tard, mais la station n'est plus dans la zone de visibilité du NIP-16, et elle a déjà dépassé celle du NIP-15 [3].

Quand elle réapparaît au-dessus du NIP-16, à la fin de sa seconde orbite, la pression dans les réservoirs n'est plus que de 160atm [2]. Une tentative de rehausse de l'orbite est réalisée le 19 mai 1973, mais sans succès [2]. La station rentre dans l'atmosphère le 22 mai 1973.

Les conséquences de l'échec

Une commission d'enquête est créée sous la direction de V.M. KOVTOUNIENKO. Vassili MICHINE, le constructeur général du TsKBEM, blâme deux personnes pour cet échec [5] :

- Boris RAOUCHENBAKH, le chef du complexe n°3, qui est remplacé par LEGOSTAÏEV,
- Yakov TREGOUB, le directeur de vol, qui est congédié du TsKBEM et remplacé par ELISSEÏEV.

C'est la première fois dans l'Histoire des vols habités soviétiques qu'un responsable est congédié. Même les accidents de Soyouz-1 et Soyouz-11 n'avaient pas conduit à une telle décision [1].

Le Comité de Sécurité Nationale (KGB) mène également une enquête, notamment sur la modification du programme de vol par le TsKBEM qui a conduit à utiliser le mode de forte poussée. L'enquête ne conclut pas à une malveillance volontaire [3].

La cause profonde retenue par la commission d'enquête est l'absence de responsable pour le système de contrôle de la station. Ce système a été développé en interne par le TsKBEM, mais personne n'en a été nommé responsable. Si cela avait été le cas, d'après TCHERTOK, l'utilisation des capteurs ioniques n'aurait probablement pas été autorisée. Ces capteurs seront d'ailleurs retirés pour la station suivante [3].

Bibliographie

[1] SEMIONOV, Y., РКК Энергия, 1946-1996, pp. 272-273
[2] MICHINE, V., Дневники, tome III, pp. 32-33
[3] TCHERTOK, B., Ракеты и люди, Vol. 4
[4] BRANIETS, V., Записки инженера, pp. 123-124
[5] Ibid., p. 162


Dernière mise à jour : 3 janvier 2021