TsPK | La piscine d'entraînement

1. Historique

La première sortie dans l'Espace a été réalisée le 18 mars 1965 par Alekseï LEONOV lors du vol Voskhod-2. Le seul moyen d'entraînement dont avait disposé LEONOV était l'avion Tu-104AK, qui permettait de réaliser des vols paraboliques avec des séances d'apesanteur de quelques dizaines de secondes.

A l'issue de ce vol, un groupe d'employés du Centre d'Entraînement des Cosmonautes (TsPK), parmi lesquels Alekseï LEONOV lui-même, proposent de réaliser des entraînements dans une piscine, en utilisant la poussée d'Archimède pour simuler l'absence de gravité. Ils proposent leur projet le 29 avril 1965, et ils reçoivent un « certificat d'auteur » (Авторское свидетельство) le 20 septembre 1966. Le certificat, numéroté V1335, est intitulé « Ensemble de moyens pour l'entraînement des cosmonautes en utilisant l'hydroapesanteur » [1].

Fig. 1.1 : Le projet de LEONOV et son groupe de 1966.
Crédit : RGANTD, TsPK.

Aux Etats-Unis, une piscine a été construite dès 1964 à l'école McDonogh, près de Baltimore, pour tester les prototypes de sas des vaisseaux Gemini. En 1966, suite aux difficultés que les astronautes américains ont rencontré lors de leurs propres sorties dans l'Espace, la NASA décide d'utiliser cette piscine pour l'entraînement.

Buzz ALDRIN, qui va bientôt devoir réaliser plusieurs sorties dans le cadre du vol Gemini XII, est le premier astronaute à bénéficier de cette préparation.

Fig. 1.2 : ALDRIN s'entraîne dans la piscine de l'école McDonogh
en vue de la mission Gemini XII.
Crédit : NASA.

Côté soviétique, le projet initié par le groupe de LEONOV en 1965 reste sur le papier. En 1969, les cosmonautes Evgueni KHROUNOV et Alekseï ELISSEÏEV vont réaliser la deuxième sortie dans l'Espace soviétique pour passer de Soyouz-5 à Soyouz-4, mais leur entraînement est limité aux vols paraboliques sur le Tu-104AK, qui n'offrent que de très courtes périodes d'apesanteur [1].

Quelques mois après cette mission, en septembre 1969, la direction du TsPK crée un groupe de travail pour étudier la possibilité d'utiliser la piscine du centre pour effectuer des simulations de sorties dans l'Espace. Quelques instructeurs sont envoyés à l'école navale de Lomonossov, près de Leningrad, pour y passer leur brevet de plongée, et les premières expérimentations sont réalisées dans la piscine sportive du TsPK à la fin 1969 [1].

En 1970, dans le cadre d'un voyage officiel aux Etats-Unis, les cosmonautes Andrian NIKOLAÏEV et Vitali SEVASTIANOV visitent le centre spatial Marshall de Huntsville, qui vient de se doter d'une piscine dédiée spécialement à l'entraînement des astronautes qui doivent voler sur la station Skylab.

Suite à une initiative personnelle de l'astronaute américain Russell SCHWEICKART, SEVASTIANOV est invité à tenter personnellement l'expérience d'une simulation de sortie dans l'Espace ! [3] Le 21 octobre 1970, il enfile donc un scaphandre A7L, plonge dans la piscine, et réalise des opérations de maintenance sur la réplique du Skylab. C'est la première fois qu'un cosmonaute soviétique porte un scaphandre américain.

Fig. 1.3 : Vitali SEVASTIANOV en scaphandre A7L
dans la piscine du centre Marshall, 21 octobre 1970.
Crédit : Gastonia Gazette, An Illustrated Chronology of the NASA Marshall Center and MSFC Programs, Во славу Руси.

Quand il rentre en Union soviétique, SEVASTIANOV partage son expérience américaine, ce qui relance le projet de construction d'une piscine spécialement dédiée à l'entraînement des cosmonautes [1]. Le 17 novembre 1970, le général Nikolaï KAMANINE, qui dirige la formation des cosmonautes, écrit dans son journal :

Aujourd'hui, avec certains spécialistes (SAMSONOV, GOUSSAROV, etc.), nous avons examiné le projet de construction au TsPK d'une piscine technique de 25 mètres de diamètre et de 12 mètres de profondeur. [Le Maréchal Pavel] KOUTAKHOV s'est opposé à trois reprises à ce projet, mais nous continuons à l'étudier, et je suis sûr que le commandement finira par nous soutenir.

Colonel-Général Nikolaï KAMANINE
Скрытый космос: Книга 4

Le 28 décembre 1970, KAMANINE réussit à convaincre ses supérieurs de la nécessité de construire de nouveaux bâtiments, parmi lesquels la piscine d'entraînement [4]. Toutefois, du fait de la multiplicité des travaux au TsPK, et du budget limité, la décision de construire la piscine n'est officiellement prise qu'en novembre 1973. Les travaux démarrent ensuite en octobre 1974, sous la maîtrise d'œuvre de l'Institut Central des Projets (TsPI-20) du Ministère de la Défense [1].

Dans l'Espace, l'heure est maintenant à l'exploitation de stations orbitales de longue durée. Les premières stations civiles de classe DOS (Saliout et Saliout-4) ne permettaient pas les sorties dans l'Espace, mais les stations militaires Almaz sont équipées d'un sas pour d'éventuelles opérations de maintenance à l'extérieur. Comme la piscine d'entraînement n'est pas prête, les cosmonautes qui voleront sur Almaz sont formés dans la piscine sportive du TsPK [2].

Fig. 1.4 : ROMANENKO et GRETCHKO s'entraînent dans la piscine sportive, en 1977.
Crédit : Russia's Cosmonauts, Проект "Салют".

Les stations DOS de deuxième génération sont elles aussi équipées pour les sorties dans l'Espace, et en 1977-1978 les cosmonautes des premières missions vers Saliout-6 bénéficient de séances d'entraînement dans la piscine sportive.

Fig. 1.5 : Vladimir KOVALIONOK s'entraîne dans la piscine sportive.
Crédit : Орбиты жизни.

La nouvelle piscine d'entraînement est appelée Hydrolaboratoire (Гидролаборатория), ou GL. En 1978, la piscine sportive doit subir d'importants travaux, et le prochain équipage de la station Saliout-6 (EO-3) n'a nulle part ou s'entraîner. L'Hydrolaboratoire n'est pas encore terminé, mais il est considéré opérationnel et sera donc utilisé. La première séance d'entraînement, avec les cosmonautes LIAKHOV et RIOUMINE, a lieu le 28 décembre 1978 [1]. Pour ces séances « précoces », la piscine n'est remplie qu'à une hauteur de 6 mètres.

Aleksandr POLECHTCHOUK, ingénieur chez NPO Energuia et futur cosmonaute, participe activement à la préparation de ces premières séances d'entraînement. Il accumule près de 700 heures de travail dans la piscine de l'Hydrolaboratoire, et quinze ans plus tard, en 1993, il réalisera lui-même deux sorties dans l'Espace depuis la station Mir.

Fig. 1.6 : Le bâtiment de l'Hydrolaboratoire en construction, en 1976.
Crédit : Novosti Kosmonavtiki, TsPK.

Fig. 1.6B : Le bâtiment de l'Hydrolaboratoire en construction, en 1976.
Crédit : Rousski Kosmos.

A l'issue des travaux, l'Hydrolaboratoire entre officiellement en service le 18 février 1980, et il est rempli à sa hauteur nominale (12 mètres) pour la première fois le 23 février 1980 [1]. Les séances d'entraînement deviennent alors relativement routinières pour tous les équipages des stations Saliout-6, Saliout-7, Mir, et de la Station Spatiale Internationale.

Fig. 1.7 : En 1988, Jean-Loup CHRETIEN est le premier
cosmonaute étranger à s'entraîner dans l'Hydrolaboratoire.
Crédit : DR.

Fig. 1.8 : Le personnel de l'Hydrolaboratoire.
Crédit : Roscosmos.

En mai 1999, une équipe de la NASA qualifie le scaphandre américain EMU pour les simulations dans l'Hydrolaboratoire. Les astronautes de la mission STS-101 vers la Station Spatiale Internationale sont les premiers à s'entraîner au TsPK avec leur EMU [5].

Fig. 1.9 : L'astronaute Ed LU plonge dans l'Hydrolaboratoire avec
son scaphandre EMU, en vue de la mission STS-106, le 19 mai 2000.
Crédit : NASA.

Au premier semestre 2009, l'Hydrolaboratoire a fêté sa millième séance.

Une grande maintenance commence en 2015 et dure six ans. L'Hydrolaboratoire n'est requalifié qu'en 2020. Les principales améliorations concernent les systèmes de levage et de traitement de l'eau, la surveillance vidéo, l'alimentation électrique, la ventilation et la climatisation. Par ailleurs, le bâtiment est rehaussé d'un étage [8].

L'ajout de nouveaux supports (six au lieu de quatre) sous la plate-forme de la piscine permet d'utiliser la quasi-totalité de sa surface pour disposer des modèles d'entraînement de la station orbitale. Auparavant, il n'était possible d'utiliser qu'environ la moitié de la surface [8].

De plus, trois grues ont été remplacées : celle du pont principal, qui est utilisée pour le montage des modèles d'entraînement sur la plate-forme, et deux autres qui sont utilisées pour immerger les cosmonautes [8].

Fig. 1.10 : Maintenance de la piscine, 6-7 juillet 2015.
Crédit : DR.

Fig. 1.11 : Avancement du chantier, à la fin 2015.
Crédit : DR.

Fig. 1.12 : L'Hydrolaboratoire encore en travaux, le 16 juin 2016.
Au premier plan, on voit le Tu-104AK n°48 en cours de rénovation.
Crédit : DR.

2. Description

L'Hydrolaboratoire (GL) du Centre d'Entraînement des Cosmonautes (TsPK) est une piscine circulaire de 23 mètres de diamètre et de 12 mètres de profondeur, ce qui fait qu'elle contient 5000m3 d'eau, maintenue à 30°C.

Fig. 2.1 : Le bâtiment de l'Hydrolaboratoire, en 2011.
Crédit : Nicolas PILLET.

Le fond de la piscine est escamotable. Il peut être remonté grâce à des vérins hydrauliques, ce qui permet d'y poser des répliques des stations spatiales.

Cliquez ici si vous ne voyez pas la vidéo.

Vidéo 1 : Remontée du plancher de la piscine.
Crédit : TVRoscosmos.

Fig. 2.2 : Le plancher de la piscine en position relevée, en 2011.
Crédit : Nicolas PILLET.

Fig. 2.3 : La piscine sans eau, avec le plancher en position abaissée, en 2009.
Crédit : Nicolas PILLET.

La paroi de la piscine est percée de 45 hublots de 500mm de diamètre, qui permettent aux instructeurs de suivre l'activité des cosmonautes.

Fig. 2.4 : De vielles répliques utilisées dans l'Hydrolaboratoire, parquées à côté du bâtiment.
Crédit : Nicolas PILLET.

Fig. 2.5 : Le logo de l'Hydrolaboratoire.
Crédit : TsPK.

Fig. 2.6 : Un pupitre de contrôle de la piscine.
Crédit : Alekseï CHIRONINE.

Fig. 2.7 : Surveillance d'une séance d'entraînement depuis le bord de la piscine.
Crédit : Alekseï CHIRONINE.

Pour les séances dans l'Hydrolaboratoire, les cosmonautes utilisent le scaphandre Orlan-GN (Гидроневесомости), une version adaptée des scaphandres Orlan utilisés pour les sorties dans l'Espace.

Les Orlan-GN sont quasiment identiques aux scaphandres de vol, à ceci près qu'ils ne sont pas équipés de la couche externe, et qu'ils n'ont pas d'alimentation en air autonome (ils sont reliés à une source placée sur le bord de la piscine). Ils sont également munis de lests afin d'empêcher le cosmonaute de flotter [6].

Fig. 2.8 : Un scaphandre Orlan-GN exposé dans le hall de l'Hydrolaboratoire.
Crédit : Nicolas PILLET.

Les scaphandres disposent toutefois d'une réserve d'air de sécurité de quinze minutes. Une fois qu'ils ont revêtit leurs scaphandres, les cosmonautes sont déposés dans l'eau par des petites grues électriques.

Fig. 2.9 : Les grues qui permettent de déposer les cosmonautes dans l'eau.
On voit bien les deux flexibles d'air qui relient les scaphandres à la source.
Crédit : Alekseï CHIRONINE.

L'Hydrolaboratoire est sous la responsabilité des Départements n°30 et n°32 du TsPK [7].

Bibliographie

[1] ESSINE, B., 30 лет первой тренировке в гидролаборатории ЦПК, NK n°02-2009
[2] CHARLES, J., How the Soviets Did Not Invent Neutral Buoyancy (...), en ligne
[3] SCHWEICKART, R., Interview par Rebecca WRIGHT, en ligne
[4] KAMANINE, N., Скрытый космос: Книга 4, article du 29 décembre 1970
[5] NASA spacesuit accepted for use in Russian Hydrolab Facility, Space Center Roundup
[6] ABRAMOV, SKOOG, Russian Spacesuits
[7] ZHOUKOV, S., Стать Космонавтом
[8] NOSSENKOVA, S., « В гидродаборатории тяжелее, чем в открытом космосе », RK n°05-2020


Dernière mise à jour : 25 septembre 2020