Soyouz-25 | Chronologie

Le 80ème lanceur Soyouz-U (11A511U n°Д15000-103) décolle du pas de tir n°5 (17P32-5) de la zone n°1 du cosmodrome de Baïkonour le 9 octobre 1977 à 02h40'35" GMT.

La charge utile est constituée du vaisseau spatial Soyouz-25 (11F615A8 n°42), qui est placé avec succès sur une orbite basse (194km x 240km x 51,6°). Son équipage est constitué du commandant Vladimir KOVALIONOK et de l'ingénieur de bord Valeri RIOUMINE.

Fig. 1 : Décollage de Soyouz-25, 9 octobre 1977.
Crédit : TASS.

Le système de rendez-vous automatique Igla est mis en service en vue d'une rencontre avec la station Saliout-6 dès le lendemain. Soyouz-25 arrive effectivement en vue de Saliout-6 lors de sa dix-septième orbite, le 10 octobre 1977, et s'aligne en face de la pièce d'amarrage avant. Comme prévu, à une distance d'environ 100m, KOVALIONOK prend les commandes du vaisseau en mode manuel, et il guide la tige du système SSVP dans le cône de Saliout-6.

Quand la distance n'est plus que de 1m, Soyouz-25 fait un angle de 2° par rapport à l'axe longitudinal de Saliout-6, ce qui est largement en-dessous du seuil de 4° autorisé. Mais le simulateur du Centre d'Entraînement des Cosmonautes ne reflète pas correctement la réalité et, lors des simulations au sol, un angle de 2° apparaît beaucoup plus faible qu'il ne l'est en réalité. En voyant l'image de la station déviée de 2° dans son périscope, KOVALIONOK a donc l'impression qu'elle l'est beaucoup plus.

La tige de Soyouz-25 entre en contact avec le cône de Saliout-6, mais KOVALIONOK décide d'annuler l'approche et de faire reculer son vaisseau.

Il réalise deux nouvelles tentatives, toujours en mode manuel, mais à chaque fois il pense que les deux vaisseaux ne sont pas correctement alignés, alors qu'ils le sont en réalité. Et à chaque fois, il annule l'amarrage au dernier moment.

Fig. 2 : RIOUMINE et KOVALIONOK avec le simulateur Soyouz du TsPK.
Crédit : Videocosmos.

Toutes ces manœuvres manuelles ont consommé la totalité des réserves d'ergols du vaisseau, et il ne reste que la réserve de secours NZ (Неприкосновенный запас) pour réaliser la rentrée dans l'atmosphère.

Le Centre de Contrôle des Vols (TsUP), dirigé par l'ancien cosmonaute Alekseï ELISSEÏEV, décide de mettre un terme à la mission et de ramener Soyouz-25 et son équipage sur Terre. ELISSEÏEV connait bien cette situation, car il a vécu quelque chose de similaire lors de l'amarrage raté de son vaisseau Soyouz-10 à la première station Saliout, six ans auparavant.

Mais le vaisseaux sort de la zone de visibilité radio, et il faut attendre l'orbite suivante pour reprendre contact. En attendant, les balisticiens du TsUP commencent à préparer le retour sur Terre anticipé de Soyouz-25.

Fig. 3 : Alekseï ELISSEÏEV au TsUP
(cliché pris pendant la mission Apollo-Soyouz).
Crédit : Videocosmos.

Quand le contact radio est à nouveau possible, tout le monde au TsUP s'attend à ce que le vaisseau soit maintenant éloigné de Saliout-6, car le fait qu'il y ait eu contact entre la tige et le cône sans qu'il y ait eu confirmation de l'amarrage doit automatiquement provoquer l'éloignement du Soyouz.

Mais au retour des transmissions radios, KOVALIONOK indique que son vaisseau est toujours à proximité de la station, à trente ou quarante mètres de distance. En théorie, il serait possible de démarrer manuellement les moteurs de Soyouz afin de l'éloigner, mais personne ne sait comment le vaisseau est orienté par rapport à la station, et l'allumage des moteurs pourrait donc conduire à une collision. D'un autre côté, il est également impossible de ne rien faire car, d'une part, les deux vaisseaux pourraient entrer « naturellement » en collision et, d'autre part, Soyouz-25 dispose de réserves d'oxygène très limitées.

Au TsUP, Alekseï ELISSEÏEV est donc face à un gigantesque dilemme : allumer les moteurs et risquer la collision, ou ne rien faire et risquer la collision quand même ?

Il y avait ceux qui conseillaient d'attendre une orbite supplémentaire, de voir comment évoluait la situation, et de décider ensuite. D'autres disaient qu'il fallait sortir le plus rapidement possible de cette situation imprévisible. Ils voulaient demander à l'équipage de passer immédiatement en manuel et de s'éloigner de la station à l'aide des moteurs (...).

Ces gens étaient convaincus d'avoir raison (...) et ils me pressaient d'écouter leurs recommandations. Ils m'ont accusé de prendre des décisions trop lentement, ce qui pourrait conduire à la perte de l'équipage et de la station. A leur tour, les spécialistes de la balistiques m'ont averti qu'il ne fallait pas démarrer les moteurs, car il pourrait y avoir collision !

J'ai essayé de faire face à mes émotions. Je n'avais confiance ni en l'une des solutions, ni en l'autre. Je comprenais que je pouvais me tromper, mais j'étais catégoriquement opposé à un moyen actif dont les effets ne pouvaient être prédits. Et par dessus tout, je ne voulais pas commencer à vider les réservoirs d'ergols.

Et j'ai pris la décision d'attendre une orbite de plus. Après tout, il n'y avait pas eu de collision durant l'orbite précédente, pourquoi y en aurait-il maintenant ? (...)

Alekseï ELISSEÏEV
Жизнь - капля в море
Traduction Nicolas PILLET.

Et il s'avère que cette décision est la bonne. Quand le contact radio est à nouveau établi avec Soyouz-25, les cosmonautes indiquent que la position relative des deux vaisseaux n'a pas changé. ELISSEÏEV leur demande donc d'attendre encore une orbite de plus.

Après la séance de communication, on m'a annoncé que le Ministre [en charge de l'Espace, NdT] demandait à me parler au téléphone, quand j'en aurais le temps. Je me suis dirigé vers le téléphone réservé aux appels gouvernementaux, et j'ai composé le numéro d'AFANASSIEV. Il répondait toujours personnellement à ce téléphone.

- Sergueï Aleksandrovitch, ici ELISSEÏEV.
- Qu'est-ce que tu envisages de faire ?
- Je vais attendre aussi longtemps que possible. Ils devraient s'éloigner.

Après une pause de quelques secondes, il me dit :

- Bon, d'accord, décide comme tu le penses. Garde à l'esprit que je serai de ton côté.
- Merci.

Alekseï ELISSEÏEV
Жизнь - капля в море
Traduction Nicolas PILLET.

Mais la solution de l'attente a ses limites. Si Soyouz-25 ne s'éloigne pas naturellement de Saliout-6 au cours des deux prochaines orbites, les cosmonautes devront malgré tout allumer les moteurs. En effet, leurs réserves d'oxygène commencent à devenir justes, et il faut garder en mémoire que les experts du TsUP ont besoin de temps pour effectuer leurs calculs avant d'amorcer la descente dans l'atmosphère.

Mais le salut arrive finalement lors de la séance de communication suivante. KOVALIONOK lance à la radio : « nous nous éloignons, nous nous éloignons, Zaria vous m'entendez ? Nous nous éloignons ! »

Maintenant à bonne distance de Saliout-6, Soyouz-25 va pouvoir allumer son moteur SKD pour amorcer sa descente. Vladimir KOVALIONOK se rappelle un anecdote amusante survenue peu avant l'atterrissage :

On nous a indiqué par radio que le parachute principal devait s'ouvrir à 03h08'12" GMT. Nous nous y préparions, mais à l'heure dite rien ne s'est produit. Nous avons commencé à éprouver, pour parler poliment, une certaine émotion.

La séquence automatique doit commander l'ouverture du parachute de secours au bout de 50s. A ce moment, le Compartiment de Descente se trouvait à environ 4,5km d'altitude. Nous attendions, mais après 50s le parachute de secours ne s'est pas ouvert.

Là, nous n'éprouvions plus une simple émotion mais plutôt, comment dire, ce que tout être humain ressent avant une chute inévitable. Et soudain nous avons ressenti des secousses, et le parachute principal s'est ouvert. Les montres nous indiquaient 03h12'08" GMT. Notre interlocuteur avait inversé les minutes et les secondes ! Cette erreur n'est pas grave, mais pour nous ces quelques minutes ont duré une éternité !

Vladimir KOVALIONOK
Мировая Пилотируемая Космонавтика
Traduction Nicolas PILLET.

Soyouz-25 atterrit au Kazakhstan le 11 octobre 1977 à 03h25'20" GMT. Son vol n'aura duré que 2 jours 44 minutes 45 secondes.

L'enquête

Une commission d'enquête a été mise sur pieds avant même l'atterrissage de Soyouz-25, dirigée par Vsevolod AVDOUÏEVSKI, le premier adjoint du directeur du TsNIIMach. La commission ne pourra cependant jamais savoir ce qui s'est réellement passé lors des tentatives d'amarrage avec Saliout-6.

L'analyse des données télémétriques montre que lors de la première tentative d'amarrage, l'erreur d'alignement était si importante que la tige de Soyouz-25 n'est pas entrée en contact avec le cône de Saliout-6, mais a glissé le long d'une main courante fixée sur le fuselage de la station. Lors de la deuxième tentative, la tige n'est passée qu'à 2 ou 3 centimètres du cône.

Les missions ultérieures montreront qu'il n'y avait pas de problème avec le système d'amarrage de la station, mais celui de Soyouz-25 n'étant pas revenu sur Terre, il est impossible de l'examiner.

Une décision est toutefois prise à l'issue de ce vol : dorénavant, tous les équipages devront comprendre au moins un cosmonaute expérimenté. Cette règle s'appliquera pendant près de vingt ans sur tous les vaisseaux russes. En 1994, Soyouz TM-19 est le premier vol avec deux cosmonautes inexpérimentés depuis Soyouz-25.

D'ailleurs, pour la première fois dans l'Histoire spatiale soviétique, les deux cosmonautes de Soyouz-25 ne reçoivent pas le titre de Héros de l'Union soviétique. Ils reçoivent quand même l'Ordre de Lénine, et le titre de Pilotes-Cosmonautes d'Union soviétique.

Le Compartiment de Descente de Soyouz-25 est aujourd'hui exposé au Musée National de la Gloire Combattante de Saratov, en Russie.

Bibliographie

[1] TCHERTOK, B., Rockets and People, Vol. 4, p. 502
[2] ELISSEÏEV, A., Жизнь - капля в море
[3] BATOURINE, Y., Мировая Пилотируемая Космонавтика
[4] SYROMIATNIKOV, V., 100 рассказов о космосе, Vol. 2, p. 82


Dernière mise à jour : 22 octobre 2016