Spektr | Histoire

Les observatoires spatiaux de la série Spektr permettent des avancées majeures dans le domaine de l'astrophysique. Ils sont le fruit d'une idée émise en 1972, et qui est toujours d'actualité de nos jours. Deux modèles ont déjà volé, et les deux autres sont en préparation pour les années 2020.

1. Les premiers observatoires orbitaux

Peu de temps après la mise sur orbite des premiers satellites artificiels de la Terre, l'idée de les équiper de télescopes est apparue. Quasiment affranchis des perturbations atmosphériques, ils permettraient de réaliser des observations astronomiques de bien meilleure qualité que depuis le sol, et en particulier dans certaines longueurs d'onde très atténuées par l'atmosphère.

Le premier projet de télescope orbital est le satellite OAO (Orbiting Astronomical Observatory) que la NASA commande à Grumman en octobre 1960 [1]. OAO-1 est lancé avec succès le 8 avril 1966, mais il ne fonctionne pas et la mission est un échec. Son successeur, OAO-2, est mis sur orbite le 7 décembre 1968 et fonctionne correctement.

Mais entre temps, le 18 avril 1968, le MOM a lancé avec succès son satellite astronomique Cosmos 215, et le premier observatoire orbital au monde est donc soviétique.

Fig. 1.1 : Les télescopes des satellites OAO-2 (à gauche) et Cosmos 215.
Crédit : University of Wisconsin-Madison, Dark Matter and Cosmic Web Story.

Au même moment, la NPO Lavotchkine développe les satellites US-K (5V95), destinés à l'alerte avancée, pour le compte du Ministère de la Défense. Ces appareils seront dotés d'un télescope qui permettra de détecter les missiles balistiques lors de leur lancement (le premier exemplaire est lancé le 19 septembre 1972). Leur constructeur principal chez NPO Lavotchkine, Anatoli TCHESNOKOV, propose d'en construire un dérivé dont le télescope serait tourné non pas vers la Terre, mais vers les étoiles [2].

Fig. 1.2 : Anatoli Grigorievitch TCHESNOKOV.
Crédit : NPO Lavotchkine.

2. Le projet Almaz-N

L'idée de TCHESNOKOV fait rapidement son chemin et, le 10 mai 1972, la Commission Militaro-industrielle (VPK) publie une Décision demandant au MOM de lui faire une proposition en vue du développement d'un observatoire spatial [22].

Le MOM publie à son tour le 15 juin 1972 un ordre demandant à l'un des plus grands industriels du secteur spatial soviétique de commencer à étudier la question. L'industriel en question n'est pas la NPO Lavotchkine, mais le TsKBM, le bureau d'études dirigé par Vladimir TCHELOMEÏ. Il envisage d'adapter sa station orbitale militaire Almaz pour en faire un observatoire automatisé [22].

En 1973, le jeune chercheur Roald SAGDEÏEV est nommé directeur de l'Institut de Recherche Spatiale (IKI) de l'Académie des Sciences. A l'automne, il rencontre Vladimir TCHELOMEÏ et se souvient de leur échange.

Soudainement, TCHELOMEÏ s'installa sur une chaise d'un air fatigué. « Bon, qu'attendez-vous de moi exactement ? Vous avez besoin de mon soutien ? » me demanda-t-il avec lassitude.

J'ai répondu immédiatement, « Vladimir Nikolaïevitch, mon institut rêve de pouvoir lancer sur orbite, dans un avenir éloigné, un télescope astronomique lourd et sophistiqué ».

Il a immédiatement réagi. « Pourquoi dans un avenir éloigné ? (...) Je serai bientôt en mesure de vous fournir de quoi héberger votre télescope orbital. »

« Vous voulez parler de votre version de la station orbitale Almaz ? », demandai-je. (...) « Je ne pense pas que les astronomes de mon institut seraient très enthousiasmés à l'idée d'avoir leur télescope sophistiqué et sensible sur une station habitée », osai-je répondre.

Il a souri. « Vous êtes des gens intelligents. Ne vous inquiétez pas. En ce moment je suis en train de convertir cette architecture en une station lourde non habitée basée sur les automatismes. Même mes clients militaires veulent avoir une version inhabitée pour leurs instruments lourds. »

Roald SAGDEÏEV [23]

Le TsKBM finalise son étude à la fin 1974 et la présente au MOM et à l'IKI. Le projet, baptisé Almaz-N (Nautchnaïa, scientifique), est basé sur la station Almaz de laquelle ont été supprimés tous les systèmes liés à la présence d'un équipage. Positionnée sur une orbite à 400km inclinée à 51,6° par un lanceur Proton-K (8K82K), elle a une masse totale de 19,5t et une durée de vie de douze mois. Elle permet d'héberger 5000kg d'équipements scientifiques pour les recherches astronomiques, et 1000kg supplémentaires pour l'observation de la Terre [22].

Fig. 2.1 : Vue d'artiste de la station Almaz-N sur orbite.
Crédit : NPO Machinostroïenia.

Almaz-N sera équipée d'une panoplie impressionnante d'instruments scientifiques, qui permettront de conduire une très large gamme d'observations astrophysiques [22] :

- le télescope infrarouge BST-2,
- les télescopes gamma Disk-M, Gamma-1 et Natalia-1,
- le télescope à rayons X RT-6,
- les spectromètres à rayons X Goloub-1, Goloub-3, RS-17 et Radon-1,35,
- le radiomètre UHF Radon-3,
- le radiomètre-diffusomètre Raskat-A,
- le diffusomètre Volna,
- le détecteur infrarouge Sekunda,
- le spectromètre gamma Snieg-2.

Cette proposition est cosignée par Vladimir TCHELOMEÏ et Roald SAGDEÏEV. Les plans prévoient de livrer une première Almaz-N en 1978 et une seconde en 1979 [22].

Fig. 2.2 : Schéma de la station Almaz-N.
Crédit : NPO Machinostroïenia.

Mais le 26 avril 1976, le Maréchal Andreï GRETCHKO, Ministre de la Défense d'Union soviétique, décède subitement. Il était le principal soutien du TsKBM au sein de l'industrie spatiale soviétique. Après sa disparition, la quasi-totalité des programmes engagés par Vladimir TCHELOMEÏ sont purement et simplement annulés.

Les stations Almaz et leur dérivé Almaz-N ne fera pas exception. La clôture de ce programme est prononcée officiellement par un décret du Comité central du Parti communiste et du Conseil des Ministres daté du 19 décembre 1981 [24].

3. La famille Astron

Peu de temps après la mort de GRETCHKO et l'abandon des programmes de TCHELOMEÏ, les Etats-Unis se lancent dans un projet majeur de télescope orbital. Plus tard baptisé Hubble, ce programme est approuvé en juillet 1977.

Fig. 3.1 : Le télescope Hubble en préparation.
Crédit : NASA.

Environ un an plus tard, le 8 décembre 1978, une décision conjointe du MOM et de l'Académie des Sciences entérine un projet de télescope orbital. Il ne sera toutefois pas basé sur les satellites US-K,  tel qu'envisagé par TCHESNOKOV six ans plus tôt, mais sur les sondes Venera (4V-1) de NPO Lavotchkine. Un décret du Comité central du Parti communiste et du Conseil des Ministres daté du 8 mai 1980 fixe les objectifs suivants [2] :

- Deux observatoires ultraviolets de type 1A devront être lancés en 1982 et 1983,
- Quatre observatoires de type 2A, couvrant chacun un domaine du spectre électromagnétique, devront être lancés en 1985, 1987, 1988 et 1989.

NPO Lavotchkine commence donc les études sur les 1A, qui aboutissent le 23 mars 1983 au lancement du télescope ultraviolet Astron (1A n°602), le premier grand observatoire spatial soviétique.

Fig. 3.2 : Le télescope Astron avant son lancement.
Crédit : NPO Lavotchkine.

Le deuxième exemplaire prévu par le décret de 1980 est finalement annulé au profit d'un autre projet, baptisé Granat (1AS n°420), qui sera destiné à l'observation des rayons gamma et sera réalisé en coopération avec le CNES [2].

En revanche, à la fin 1983, NPO Lavotchkine commence bel et bien à réfléchir à la génération 2A, conformément à la décision du 8 mai 1980. Le premier exemplaire Astron-R (2AM) sera dédié à l'observation dans les ondes radio, afin de poursuivre les travaux commencés avec le télescope KRT-10 installé sur la station orbitale Saliout-6 en juillet 1979. Le deuxième exemplaire, Astron-Gamma (2AG), observera dans la bande gamma [2].

4. Apparition de la famille Spektr

Tous ces projets sont basés sur l'utilisation de plate-formes de sondes interplanétaires mais, en 1984, NPO Lavotchkine développe les satellites Araks, 71Kh6 et 72Kh6. Et il apparaît que ces derniers sont bien plus adaptés à une conversion en télescopes spatiaux, notamment du fait de la précision de leur système d'orientation.

Fig. 4.1 : Le projet 71Kh6.
Crédit : NPO Lavotchkine.

En janvier 1985, une étude interne propose de construire une famille d'observatoires spatiaux appelés Spektr en utilisant la plate-forme du 72Kh6 [2]. C'est la première fois que ce nom apparaît. Une Décision conjointe de NPO Lavotchkine, de l'IKI et de l'Observatoire de Crimée (KrAO) confirment l'intérêt de ce projet le 16 mai 1985. Enfin, la Commission Militaro-industrielle (VPK) publie le 23 décembre 1985 sa Décision n°24 qui demande à NPO Lavotchkine de démarrer le projet Spektr, ou AM (Астрофизический Модуль) [2].

Le document précise que les Spektr seront basés sur le satellite 72Kh6 et qu'ils seront mis sur orbite pas des lanceurs Proton-K (8K82K) équipés d'étages supérieurs Bloc DM-2 (11S861). Quatre satellites devront être construits et lancés sur la période 1990-1995 :

- le radiotélescope Spektr-R,
- le télescope infrarouge Spektr-I,
- le télescope millimétrique Spektr-M,
- le télescope à rayons X et gamma Spektr-GR.

Deux autres projets, Spektr-A pour l'ultraviolet et Spektr-P pour les micro-ondes, sont également initiés pour un avenir plus lointain [2].

De 1986 à 1989, NPO Lavotchkine commence le développement des deux premiers observatoires, Spektr-R et Spektr-RG (les deux lettres ont été inversées par rapport à la dénomination initiale). Ce dernier est par ailleurs fortement ouvert aux participations internationales [2].

L'Académie des Sciences d'Union soviétique et l'agence Glavcosmos publient le 31 décembre 1987 l'échéancier suivant pour les différents satellites. On voit que le télescope millimétrique a été abandonné et que l'ultraviolet est devenu une priorité [2].

Tableau 3.1 : Planning de lancement des satellites Spektr au 31 décembre 1987.
Satellite Désignation Date de lancement Domaine d'observation
Spektr-RG AM3 1993 Rayons X et gamma
Spektr-R AM1 1995 Radio
Spektr-UF AM2 1997 Ultraviolet
Spektr-IK   1999 Infrarouge

Du 5 au 9 septembre 1988, un colloque international est tenu au siège moscovite de l'IKI à propos de l'observatoire Spektr-RG. La France, le Japon, le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas, la République Fédérale d'Allemagne et l'ESA confirment leur participation au projet [18].

Fig. 4.2 : Le logo de Spektr-RG.
Crédit : Земля и вселенная №01-1989.

5. Période de disette et annulation de Spektr-RG

Le développement de Spektr-UF commence en 1990. Mais les temps difficiles commencent à faire leur apparition, et les travaux avancent très peu. Le développement de Spektr-IK devait également débuter en 1990, mais ce ne sera pas le cas faute de financement [2]. Le 25 décembre 1991, l'Union soviétique est officiellement dissoute.

Fig. 5.1 : Les projets Spektr-R, Spektr-UF et Spektr-RG.
Crédit : NPO Lavotchkine.

La décennie qui s'ouvre voit l'ensemble des budgets spatiaux diminuer de façon spectaculaire, et les efforts dans le domaine de l'exploration sont concentrés sur le projet Mars-96 [2][3]. Le lancement de Spektr-RG est prévu pour 1997, et les Etats-Unis livrent leurs premiers éléments à l'Académie des Sciences de Russie en 1993 [3].

Fig. 5.2 : Le télescope SODART, réalisé en coopération avec le Danemark.
Crédit : DR.

Cette même année, lors d'un sommet à Vancouver, les Présidents Bill CLINTON et Boris ELTSINE créent une commission conjointe américano-russe sur la coopération économique et technologique, mieux connue sous le nom de « commission Gore-Tchernomyrdine » du nom des deux chefs de gouvernements respectifs qui la dirigent.

Cette entité supervise les relations entre les deux Etats sur le projet Spektr-RG et, après l'échec de Mars-96, elle note en février 1997 que Spektr-RG reste une priorité et que tout doit être mis en œuvre pour garantir son lancement en 1998 [4].

Fig. 5.3 : Bill CLINTON et Boris ELTSINE à Vancouver, le 4 avril 1993.
Crédit : AFP.

L'agence spatiale russe, Rosaviacosmos, qui succède au MOM, est toutefois engagée dans un autre programme astrophysique de grande ampleur : l'observatoire européen INTEGRAL. Elle discute depuis 1993 avec l'ESA en vue de contribuer au projet en fournissant la mise sur orbite par un lanceur Proton-K, en échange de temps d'observation [5]. L'accord en ce sens est signé le 18 novembre 1997 [6].

Mais ce nouveau programme consomme une partie importante des faibles ressources financières de la recherche spatiale russe, comme le montre le tableau 4.1.

Tableau 4.1 : Allocations budgétaires des grands programmes scientifiques (source : [7]).
2000 2001 2002
INTEGRAL 80 000 000 ₽ 280 000 000 ₽ 350 000 000 ₽
Spektr-RG 95 000 000 ₽ 124 850 000 ₽ ?
Spektr-R 13 000 000 ₽ 23 000 000 ₽ ?
Spektr-UF 12 000 000 ₽ 21 000 000 ₽ ?
Budget total 305 800 000 ₽ 609 931 500 ₽ ?

Le 13 février 2002, le Conseil pour l'Espace de l'Académie des Sciences constate que le programme Spektr-RG n'avance que très peu du fait du financement inadéquat, et que d'autres télescopes similaires vont prochainement être lancés par d'autres nations, comme Chandra ou XMM-Newton.

En conséquence, le Conseil décide d'inverser l'ordre de lancement des observatoires : Spektr-R devient la priorité, et Spektr-RG est relégué en deuxième position [7]. Dans la pratique, cela revient à supprimer le financement de Spektr-RG et donc à annuler le projet. Cette décision est extrêmement lourde de conséquences, en Russie comme à l'international. Youri KOPTIEV, le directeur de Rosaviacosmos, en dira la chose suivante :

Notre programme Spektr a été suspendu. C'est un programme dans lequel nous avons impliqué nos partenaires, surtout pour créer les instruments astrophysiques.

Nous avons mené ce programme pendant douze années, mais nous avons échoué à construire les satellites dans un délai raisonnable, et nous avons échoué à les lancer. Naturellement, nos collègues sont frustrés parce qu'ils ont dépensé des centaines de millions de dollars pour créer des équipements qui prennent maintenant la poussière, et qui ne sont pas utilisés pour ce pourquoi ils ont été conçus.

Youri KOPTIEV [14]

Quelques mois après cette décision, le 17 octobre 2002, le lancement du télescope européen INTEGRAL se déroule avec succès depuis Baïkonour.

Fig. 5.4 : Préparation du télescope INTEGRAL à Baïkonour.
Crédit : Roscosmos.

6. Le développement de Spektr-R

En octobre 2003, sur ordre de Youri KOPTIEV, le directeur de Rosaviacosmos, Konstantin PITCHKHADZE remplace Stanislav KOULIKOV au poste de constructeur général de NPO Lavotchkine [8]. Il a la lourde responsabilité de donner un nouveau souffle à l'entreprise après une importante série d'échecs.

Fig. 6.1 : Konstantin Mikhaïlovitch PITCHKHADZE.
Crédit : NPO Lavotchkine.

L'une de ses décisions les plus marquantes est de cesser tous les travaux sur la plate-forme AM qui doit servir de base aux observatoires Spektr, et de la remplacer par un projet beaucoup plus moderne et ambitieux appelé Navigator [2].

Cette nouvelle plate-forme est non pressurisée et doit permettre une stabilisation plus précise ainsi qu'une durée de vie améliorée.

Fig. 6.2 : La nouvelle plate-forme Navigator.
Crédit : NPO Lavotchkine.

Cette décision a un impact fort sur le développement de Spektr-R, qui prend donc un retard important. En décembre 2003, un modèle d'essai du radiotélescope est testé à l'observatoire de Pouchtchino, afin de confirmer le fonctionnement en interférométrie à très large base (VLBI) avec un autre radiotélescope.

Fig. 6.3 : Essais de Spektr-R à Pouchtchino en décembre 2003.
Crédit : DR.

Début 2004, dans le but de diminuer les coûts, Rosaviacosmos cherche à modifier les Spektr pour qu'ils puissent être mis sur orbite par un lanceur plus léger que Proton-K [10]. C'est finalement le lanceur Zenit-2SB qui est choisi.

Le nouveau Programme Spatial Fédéral pour la décennie 2006-2015 (FKP-2015) prévoit sur cette période le lancement de Spektr-R (en 2005-2006) et de Spektr-UF (en 2006-2007) [9][12].

Un modèle d'essai de Spektr-R arrive à Baïkonour le 17 juin 2009 afin de qualifier les matériels nécessaires à sa préparation.

Fig. 6.4 : Le modèle d'essai de Spektr-R à Baïkonour lors des essais de remplissage.
Crédit : Roscosmos.

Le satellite météorologique Elektro-L n°1 décolle de Baïkonour le 20 janvier 2011 et permet de tester pour la première fois la plate-forme Navigator, sur laquelle il est également basé. Il s'avère justement que les roues à réaction utilisées pour stabiliser le satellite ne fonctionnent pas comme prévu, et NPO Lavotchkine décide de retarder le lancement de Spektr-R tant que le problème n'est pas résolu.

L'intégration de Spektr-R est terminée en février 2011, et ses essais électriques sont réalisés en mars 2011 sans incident. Le satellite est alors transporté au NITs RKP de Peresviett pour y subir des essais dans la chambre à vide thermique VK600/300 [11].

Fig. 6.5 : Spektr-R lors de ses essais au NITs RKP.
Crédit : NITs RKP.

Spektr-R est livré à Baïkonour le 24 juin 2011, et il est mis sur orbite avec succès par un lanceur Zenit-2SB le 18 juillet 2011. Malgré des problèmes sur le système de régulation thermique, le télescope fournit une très importante quantité de données aux chercheurs de l'Institut de Physique Lebedev (FIAN) de l'Académie des Sciences.

Fig. 6.6 : Décollage de Spektr-R, le 18 juillet 2011.
Crédit : Roscosmos.

Cette mission est reconnue comme l'une des plus grandes réussites de la technologie spatiale russe depuis la dissolution de l'Union soviétique, et Spektr-R continue de fonctionner bien après la fin de sa durée de vie garantie de trois ans. Le 10 janvier 2019, un dysfonctionnement met fin aux observations et la mission est déclarée terminée le 30 mai 2019.

7. Le développement de Spektr-RG

On l'a vu plus haut, le projet de télescope Spektr-RG a été officiellement abandonné en février 2002 suite au constat de l'irréalisme de son financement. La charge utile devait comprendre les instruments suivants :

- Le télescope à rayons X JET-X (Joint European Telescope), réalisé en coopération avec le Royaume-Uni, l'Italie, la RFA et l'IKI.
- Le télescope à rayons X à masque codé MART-LIME, fourni par l'IKI et l'Institut d'Astrophysique Spatiale de Frascati, en Italie.
- Le télescope ultraviolet EUVITA (Extreme UV Imaging Telescope Array), fourni par l'IKI, l'Institut Paul Scherrer (Suisse) et le Laboratoire de Science Spatiale de Berkeley (USA).
- Le télescope ultraviolet TAUVEX (Tel Aviv university UltraViolet EXplorer), réalisé par El-Op pour le compte de l'université de Tel Aviv.
- Le détecteur à rayons X MOXE (MOnitoring X-ray Experiment), fourni par le Laboratoire National de Los Alamos et le Centre des Vols Spatiaux Goddard de la NASA.
- L'instrument SODART (SOviet DAnish Röntgen Telescope) fourni par l'Institut de Recherche Spatiale du Danemark (DSRI) [19] et l'IKI. Il est constitué de deux télescopes à rayons X. Dans le plan focal de chacun d'eux sont installés une paire de compteurs HEPC/LEPC (High/Low Energy Imaging Proportional Counter) et un détecteur à rayons X FRD (Focal plane X-Ray Detector). Le premier télescope est également doté du spectromètre SIXA (Solid State Spectrometer Array), et le second est doté du polarimètre SXRP (Stellar X-Ray Polarimeter).
- L'ensemble de détecteurs à rayons X SPIN, fourni par l'IKI.
- Le télescope à rayons X ART-SP, fourni par l'IKI.
- Le télescope à rayons X à incidence rasante GITA, fourni par l'IKI et la RDA.

Fig. 7.1 : Le projet initial d'observatoire Spektr-RG.
Crédit : IKI.

Mais dès le mois de décembre 2002, le Conseil pour l'Espace de l'Académie des Sciences relance le projet à peine enterré et approuve la réalisation d'une version allégée et simplifiée.

L'observatoire serait désormais basé sur une plate-forme Viktoria de RKK Energuia, dont le coût est évalué à seulement 10M$ [13]. Il serait mis sur orbite par un lanceur Soyouz-2.1b équipé d'un étage supérieur Fregat [16], moins coûteux qu'on Proton-K. L'Académie des Sciences envisage un lancement en 2007-2008, mais le FKP-2015 fixe l'échéance plus réaliste de 2011 [12].

L'idée est de réutiliser les instruments fournis pour l'ancien projet Spektr-RG par les différents pays coopérants. Ce n'est toutefois pas possible pour certains d'entre eux, comme SODART. Mais JET-X, MART-LIME, SPIN, TAUVEX, EUVITA et MOXE sont conservés.

Fig. 7.2 : Le projet Spektr-RG avec la plate-forme Viktoria.
Le télescope EUVITA est sur la face opposée et n'est donc pas représenté.
Crédit : IKI / RKK Energuia.

Les études de Phase A commencent en juillet 2003 chez RKK Energuia et durent jusqu'à la fin de l'année. Le résultat est présenté à Rosaviacosmos et à l'Académie des Sciences en janvier 2004, mais la première ne donne pas son accord à la réalisation du projet, qui est donc abandonné [16].

C'est donc sur la plate-forme Navigator de NPO Lavotchkine que l'observatoire sera réalisé. Les instruments d'origine ont maintenant tous largement dépassé leur durée de vie, et il ne sera donc pas possible de les utiliser [12].

Fig. 7.3 : Le télescope JET-X a fini au musée de Londres.
London Science Museum. Crédit : Nicolas PILLET.

Une charge utile entièrement nouvelle est donc envisagée. Elle sera constituée [21][12] :

- du télescope à rayons X eROSITA, fourni par l'Allemagne,
- du télescope à rayons X Lobster, fourni par le Royaume Uni,
- du télescope à rayons X ART-XC, fourni par l'IKI.

Fig. 7.4 : Le projet Spektr-RG en 2007.
Crédit : IKI / RKK Energuia.

Le 1er avril 2007, le DLR allemand approuve officiellement la construction du télescope eROSITA, pour un budget de 21M€ [15]. En revanche, en 2008, l'Université de Leicester annule son projet de télescope Lobster.

En 2007, une équipe commune entre l'Institut de Recherche Spatiale des Pays-Bas (SRON), l'Université du Wisconsin, l'Institut Max Planck, l'Institut de l'Espace et de la Science astronautique (ISAS) de la JAXA et le Centre Goddard de la NASA avait proposé d'équiper Spektr-RG avec un calorimètre appelé SXC [17][20].

Fig. 7.5 : Le projet Spektr-RG en 2008, sans Lobster et avec le SXC.
Crédit : Spectrum-Roentgen-Gamma astrophysical mission.

Cet instrument nécessite un système de refroidissement extrêmement gourmand en énergie. L'alimenter en permanence, y compris pendant les phases où Spektr-RG est dans l'ombre de la Terre, nécessiterait l'emploi de batteries de très fortes capacités. Afin de limiter la masse à embarquer, NPO Lavotchkine décide de placer le satellite non pas sur orbite terrestre, mais sur une orbite de halo autour du point de Lagrange n°2 (L2) du système Terre-Soleil [25].

Le projet SXC est toutefois abandonné à la fin 2008 car il s'avère que les contraintes de masse, d'encombrement et de planning rendent son développement beaucoup trop problématique [17]. La charge utile de Spektr-RG ne sera donc constituée que de eROSITA et de ART-XC, mais l'idée de l'envoyer au point L2 est conservée.

Le développement de Spektr-RG prend beaucoup de retard, notamment pour des raisons techniques. En 2016, le lanceur Zenit-2SB qui avait été commandé pour Spektr-RG arrive à expiration. Roscosmos décide de l'utiliser pour une autre charge utile, en l'occurrence le satellite AngoSat-1, et de basculer Spektr-RG sur un lanceur Proton-M (avec un étage supérieur Bloc DM-03) qui avait été commandé pour les besoins de la constellation GLONASS.

Le télescope russe ART-XC est livré à NPO Lavotchkine le 27 décembre 2016, et le télescope allemand eROSITA le 20 janvier 2017. La plate-forme Navigator est testée dans la chambre à vide thermique VK600/300 du NITs RKP le 9 septembre 2018.

Fig. 7.6 : La plate-forme Navigator dans la chambre VK-600/300.
Crédit : NITs RKP.

Spektr-RG est finalement livré à Baïkonour le 24 avril 2019, et il est lancé avec succès le 13 juillet 2019. Après trois corrections d'orbite, il arrive au point L2 le 21 octobre 2019 et commence sa mission scientifique.

Fig. 7.7 : Décollage de Spektr-RG, le 13 juillet 2019.
Crédit : Roscosmos.

8. Le développement de Spektr-UF

Comme on l'a vu plus haut, le Programme Spatial Fédéral pour la décennie 2006-2015 (FKP-2015) prévoyait le lancement de Spektr-UF en 2006-2007, juste après Spektr-R [9][12].

Fig. 8.1 : L'observatoire Spektr-UF chez NPO Lavotchkine.
Crédit : NPO Lavotchkine.

Mais le développement de l'observatoire ultraviolet a pris plusieurs années de retard, principalement pour des raisons budgétaires. Le télescope T-170M et son miroir de 170cm de diamètre ont été livrés à NPO Lavotchkine, et la mise sur orbite par un lanceur Angara-A5 est actuellement prévue en 2025 depuis le cosmodrome de Vostotchnyi.

9. Le développement de Spektr-M

Le satellite Spektr-M, ou Millimetron, est le plus ambitieux projet scientifique de l'histoire spatiale russe. Destiné à observer dans la bande 20μm - 17mm, son lancement n'est pas prévu avant 2028.

Fig. 9.1 : Préparation de l'antenne de Spektr-M.
Crédit : NPO Lavotchkine.

Notes et bibliographie

[1] KOLCUM, E., Grumman will develop OAO spacecraft, AW&ST, 17.10.1960
[2] Messages de V. MOLODTSOV (NPO Lavotchkine) sur le forum du journal Novosti Kosmonavtiki
[3] GALIMOV, E., Замыслы и проекты, Moscou, 2009, pp. 56-59
[4] Ibid., pp. 148-151
[5] WINKLER, C., Integral Selected as ESA's Next Scientific Mission, ESA Bulletin n°75, août 1993
[6] ESA's gamma-ray astronomy mission's Russian launch confirmed, communiqué ESA n°41-1997
[7] GALIMOV, Op. cit., pp. 164-225
[8] SAFRONOV, I., Назначен руководитель НПО имени Лавочкина, Kommersant, 09.10.2003
[9] MARININE, I., А. Перминов: "Больше хороших космических новостей!", NK n°02-2006 p. 2
[10] KOPIK, Коптев об итогах деятельности и планах отечественного космоса, NK n°03-2004 p. 55
[11] SIZIAKOV, N., Испытательный центр - 70 лет, Serguiev-Possad, 2019
[12] KOPIK, A., Спектр-Рентген-Гамма, NK n°01-2007
[13] Russia is an emerging market profitable for Europe, Bulletin de l'ESA à Moscou n°3/2003
[14] Press Briefing By Russian Aerospace Agency Director Yuri Koptev On Results Of Government Meeting, Bulletin de l'ESA à Moscou n°5/2003
[15] eROSITA approved, communiqué du DLR du 01.04.2007
[16] LOPOTA, V., Первое десятилетие XXI века, p. 222
[17] Correspondance de l'auteur avec Jan-Willem DEN HERDER, du SRON
[18] "Спектр-Рентген-Гамма", Zemlia i Vselenaïa n°01-1989
[19] L'ensemble des éléments fournis par le DSRI est appelé XSPECT. Cela inclut les modules miroirs des télescopes du SODART (MM), le Spectromètre OXS (Objective Crystal Spectrometer) et les compteurs HEPC/LEPC.
[20] PAVLINSKY, M., et al., Spectrum-Roentgen-Gamma astrophysical mission
[21] SPECTRUM-RG/eROSITA/LOBSTER Mission Definition Document
[22] SABELIEV, B., SMIRITCHEVSKI, L., Проект автоматической орбитальной научной станции "Алмаз-Н", in PERVOV, M., История развития отечественных автоматических космических аппаратов, Moscou, 2015, p. 288
[23] SAGDEÏEV, R., The Making of a Soviet Scientist, 1994, p. 204
[24] LEONOV, A., et al., Огранка "Алмазов", Moscou, 2019, p. 118
[25] PAVLINSKI, M., Спутник уходит в либрацию, [web], accédé le 19.03.2020


Dernière mise à jour : 21 mars 2020