La mission Voskhod-2 | Chronologie

1. Lancement du vaisseau Voskhod-2

Le 9ème lanceur Voskhod (11A57 n°Р15000-05) a décollé du pas de tir n°5 (17P32-5) de la zone n°1 du cosmodrome de Baïkonour le 18 mars 1965 à 07h00'00" GMT.

Fig. 1.1 : Décollage de Voskhod-2.
Crédit : RGANTD.

La charge utile est constituée du vaisseau Voskhod-2 (3KD n°4), qui est placé avec succès sur une orbite basse (173km x 495km x 65°), ce qui lui permet au passage de battre le record d'altitude détenu par le premier vol Voskhod. L'équipage est constitué du commandant Pavel BELIAÏEV et de l'ingénieur de bord Alekseï LEONOV.

Lors du lancement, une alarme s'était déclenchée et avait provoqué une énorme tension dans la salle de contrôle. On se rappelle en effet que Voskhod n'offrait aucun moyen de sauvetage à ses occupants en cas de problème. Heureusement, cette alerte fut sans conséquence.

2. La sortie dans l'Espace

Dès la fin de la première orbite, LEONOV enfile son sac à dos avec l'aide de son commandant. Quand cette opération est terminée, BELIAÏEV commande le déploiement du sas Volga. Après plusieurs contrôles d'étanchéité, LEONOV pénètre à l'intérieur et connecte le câble de sécurité qui le relie au vaisseau. Ensuite, BELIAÏEV se détache de son siège et va refermer l'écoutille. LEONOV attend quelques instants que l'azote présente dans son sang soit complètement purgée.

A 05h33 GMT le 18 mars 1965, il ouvre l'écoutille extérieure. La première sortie dans l'Espace commence.

La première chose qu'il fait est de fixer une caméra vidéo à l'extrémité du sas, afin d'immortaliser son exploit. Il ôte le capuchon de l'objectif et s'en débarrasse en le jetant dans l'Espace. Il s'appuie ensuite sur le vaisseau pour s'en éloigner autant que son câble de sécurité de 7m le lui permet. Les images de la sortie sont diffusées en direct (en fait avec un léger différé) dans toute l'Union soviétique. Leonid BREZHNEV adresse un message de félicitations par radio à LEONOV.

Fig. 4 : Alekseï LEONOV lors de sa sortie dans l'Espace historique.
Crédit : TASS.

Le cosmonaute avait emmené un appareil photo et l'avait rangé dans une poche située sur une jambe de son pantalon. Malheureusement, lors de la sortie, il est incapable de se pencher suffisamment pour l'atteindre. Bien qu'il ne lui manque qu'un seul centimètre de longueur de bras, il devra se passer de prendre des photographies de la Terre et de son vaisseau.

LEONOV s'émerveille devant cette vision féerique qu'il a de la Terre et de l'Espace, mais son commandant le rappelle à l'ordre et lui demande de rentrer. En effet, la sortie dure déjà depuis dix minutes, et il ne vaut mieux pas risquer d'attendre la nuit orbitale.

LEONOV récupère la caméra qu'il avait installée en début de sortie et essaie de pénétrer dans le sas Volga comme le veut la procédure d'entraînement, à savoir les pieds en premier. Mais les choses se gâtent quand il s'aperçoit que la rigidité de son scaphandre l'empêche d'effectuer la manœuvre. Il essaie alors de rentrer la tête la première, quitte à devoir se retourner une fois à l'intérieur. Mais là encore, il ne dispose pas d'assez de souplesse.

Il prend alors une décision aussi intelligente que dangereuse : il ouvre une valve pour diminuer la pression jusqu'à 270hPa. De cette façon il augmente son agilité, mais s'expose aussi à la maladie des caissons.

La presse - et même la littérature spécialisée - occidentale commet souvent une erreur en indiquant que le scaphandre de LEONOV a gonflé sous l'effet de la pression (400hPa). Il n'en est évidemment rien, les matériaux utilisés pour la conception du Berkout n'étant pas élastiques. Alekseï LEONOV rencontre en effet des difficultés avec sa combinaison, mais il s'agit d'une augmentation de sa rigidité, et non de son volume.

Les ingénieurs de l'usine 918 expliqueront cet incident par un manque cruel de procédures de simulation adéquates. Lors du développement du scaphandre, le seul moyen pour simuler l'apesanteur était l'avion parabolique Tu-104AK du LII Gromov, qui n'offrait que quelques secondes d'apesanteur. Ce laps de temps n'a pas été suffisant pour prévoir avec précision les réactions d'une combinaison pressurisée exposée au vide spatial.

Mais revenons au 18 mars 1965. LEONOV vient donc d'abaisser la pression de sa combinaison et rentre dans le sas la tête la première. Il entreprend ensuite de se retourner à l'intérieur du sas et ferme l'écoutille extérieure. Le commandant BELIAÏEV procède alors à la repressurisation du sas et LEONOV peut ouvrir l'écoutille. Il arrive dans le module de descente totalement épuisé.

Après un court instant de repos, il consigne par écrit un rapport détaillé de sa sortie. Le programme prévoit ensuite qu'il passe la prochaine orbite à dormir. Mais l'adrénaline accumulée durant les moments passés à l'extérieur l'en empêche et il profite de son temps pour réaliser quelques dessins.

Au début de l'orbite suivante, les cosmonautes envoient la commande de séparation du sas. Les boulons explosifs sont actionnés et le Volga est éjecté. Immédiatement après, Voskhod-2 se met à tourner sur lui-même à la vitesse angulaire de 17°/s. Les cosmonautes signalent le problème par radio, mais les ingénieurs demeurent silencieux. Une telle vitesse de rotation est insupportable car les deux hommes voient la Terre et l'Espace défiler très rapidement à travers les hublots.

Une fois dans l'ombre de la Terre, tout est beaucoup plus confortable. Soudainement, alors qu'il effectuait une simple vérification des instruments de bord, LEONOV s'aperçoit que la pression du module de descente est en train d'augmenter dangereusement. Alors qu'elle devrait être de 160mmHg, elle dépasse les 460mmHg !

BELIAÏEV et LEONOV sont conscients que dans ces conditions, le moindre petit court-circuit provoquera un incendie duquel ils ne pourront réchapper. Les ingénieurs au sol demandent aux cosmonautes de diminuer la température, et ainsi l'humidité. Cette mesure a pour effet de stopper l'augmentation de la pression, mais celle-ci reste tout de même au-dessus du seuil de sécurité des 460mmHg. Les cosmonautes se livrent également à une expérience médicale visant à déterminer le rôle de la pesanteur sur la vision des couleurs.

BELIAÏEV note une diminution de 26,1% de sa capacité à distinguer certaines couleurs. Pour LEONOV, la diminution est de 25%. Plus tard, alors qu'ils sont exténués, LEONOV et BELIAÏEV s'endorment. Quand ils se réveillent, plusieurs heures après, ils réalisent que la pression a diminué durant leur sommeil. Bien que plus élevée qu'à la normale, elle est repassée en dessous des 460mmHg. Le vaisseau, lui, continue à tourner sur lui-même.

3. Le retour sur Terre

Puis, quelques orbites plus tard, vient le moment de rentrer sur Terre. Cinq minutes avant l'allumage programmé du moteur de rentrée TDU, LEONOV remarque avec stupeur que le système de guidage automatique, qui est censé orienter le vaisseau convenablement pour la rentrée, ne fonctionne pas correctement. Il procède donc à son débranchement, conscient que cela signifie que l'orientation devra se faire manuellement.

LEONOV décide de faire atterrir Voskhod-2 dans les environs de la ville de Perm. De cette façon, il pense que même s'il fait une erreur de calcul, l'atterrissage se fera quand même en territoire soviétique. C'est le commandant BELIAÏEV qui se charge de la difficile manœuvre d'orientation manuelle.

Pour cela, il doit se déplacer dans le vaisseau de façon à avoir accès aux différents hublots. Une fois ses mesures effectuées, il met 46" à regagner sa place (condition nécessaire pour pouvoir allumer le moteur de rentrée, pour ne pas modifier le centre de gravité). Or, durant ces 46", les coordonnées qu'il a mesurées ont eu le temps de changer légèrement. Par conséquent, Voskhod-2 atterrira 2000km plus loin que prévu.

BELIAÏEV procède à l'allumage du moteur TDU, qui se déroule normalement. La combustion dure quelques secondes puis s'arrête, comme prévu. Mais dix secondes plus tard, alors que le module de descente devait se séparer du module de service, rien ne se passe. Cependant, le vaisseau entame sa rentrée et commence à se frotter aux premières couches de l'atmosphère.

C'est alors que LEONOV s'aperçoit en regardant par le hublot qu'un câble de communication reliant le module de service au module de descente ne s'est pas détaché. Les deux modules sont donc toujours solidaires et l'ensemble, soumis à une décélération d'environ 10g, tourne autour de son centre de gravité.

Arrivé à une altitude d'environ 100km, le câble finit par se consumer et la rotation du vaisseau s'arrête. Ensuite, le reste de la descente se déroule normalement et le parachute s'ouvre. A quelques mètres du sol, c'est au tour de la rétrofusée du système d'atterrissage en douceur de se mettre en marche.

Tout se passe conformément aux prévisions et Voskhod-2 touche le sol sans incident à 09h02 GMT le 19 mars 1965, à 180km au nord-est de Perm (59,34°N, 55,28°E).

Quelques instants plus tard, l'équipage réalise qu'il s'est posé sur une couche de neige d'environ 2m d'épaisseur. De plus, les cosmonautes n'ont pas la moindre idée de l'endroit où ils se trouvent. Au départ, ils veulent s'extraire de leur vaisseau, mais la porte refuse de s'ouvrir car une branche d'arbre la bloque. Finalement, à force d'acharnement, BELIAÏEV parvient à l'ouvrir. Mais le froid glacial pénètre à l'intérieur du vaisseau et les deux hommes essaient de se réchauffer comme ils le peuvent.

Avec un sextant, LEONOV essaie de déterminer où le vaisseau s'est posé, mais il en est incapable car le Soleil est sans cesse caché par les nuages. Il se charge ensuite de télégraphier en morse que tout va bien, mais ne peut même pas savoir si quelqu'un reçoit son message.

LEONOV et BELIAÏEV ont tous deux une grande expérience de la vie en forêt dans des conditions extrêmes. Mais ils savent tous les deux que la taïga russe est le royaume des loups et des ours, et que le printemps est la saison où ces animaux sont particulièrement agressifs. La trousse de survie du vaisseau comprend un pistolet, destiné précisément à ce genre de situations. Juste avant le décollage, LEONOV avait préféré emmener davantage de cartouches et moins de nourriture.

Le message que LEONOV avait envoyé ne parvient pas jusqu'à Moscou à cause des perturbations, mais est en revanche entendu par un avion cargo qui passe au-dessus de la zone d'atterrissage. L'équipage de celui-ci prévient immédiatement les autorités et une énorme campagne de recherche est lancée sur toute la région.

Quelques heures plus tard, les cosmonautes sont repérés par un hélicoptère civil. Un des hommes à bord déploie une échelle de corde et fait signe aux cosmonautes de monter à bord. Mais BELIAÏEV et LEONOV refusent; la manœuvre serait bien trop dangereuse, surtout avec les combinaisons Berkout sur le dos! Plus tard, de très nombreux avions et hélicoptères rejoignent la zone d'atterrissage. Certains larguent des équipements de survie aux cosmonautes, comme des bottes chaudes ou des habits secs.

Mais le Soleil ne va pas tarder à se coucher et les opérations de sauvetage sont suspendues. BELIAÏEV et LEONOV entreprennent donc de dormir. Mais leurs combinaisons sont envahies par l'humidité et il serait très dangereux pour eux de passer la nuit dans cet état (la température est de -30°C). Ils ôtent donc leurs Berkout, détachent certaines couches humides, vident toute l'eau contenue à l'intérieur, et se rhabillent.

Le lendemain matin, les cosmonautes sont réveillés par le bruit des moteurs d'un Il-14 survolant la zone. LEONOV lance une fusée éclairante pour signaler précisément sa position. Quelques instants après, un groupe d'hommes à skis (deux médecins, un cosmonaute et un cameraman) arrivent près du vaisseau.

Mais tout n'est pas pour autant fini. L'évacuation ne pourra se faire que le lendemain, après qu'une deuxième équipe de secours sera venue avec de quoi couper des arbres, de façon à permettre aux hélicoptères de se poser. Le soir venu, un énorme feu est allumé et les cosmonautes se voient offrir de la nourriture chaude.

Le jour suivant, LEONOV et BELIAÏEV, accompagnés par l'équipe de récupération, chaussent des skis et parcourent 9km dans la taïga. Ils rejoignent ainsi une petite aire d'atterrissage de fortune où un hélicoptère les attend. Les cosmonautes s'envolent alors pour Perm, et là-bas prennent l'avion pour Baïkonour. Sur le cosmodrome, ils sont accueillis en triomphe, notamment par KOROLIOV et GAGARINE.

Les cosmonautes gagneront Moscou le 23 mars 1965, où ils recevront un accueil triomphal.


Dernière mise à jour : 17 juillet 2022