Pirs et Poïsk | Histoire

L'idée de réaliser un petit module pour servir à la fois de point d'amarrage et de sas remonte au projet de station orbitale russe Mir-2. En 1992, le successeur de la vénérable station Mir commence à prendre forme et la NPO Energuia, son constructeur, envisage de la munir d'un module plus petit que les 77KS qui équipaient Mir et qui pourrait être mis en orbite par un lanceur Soyouz.

D'une masse de 3 ou 4 tonnes, il serait dérivé du module d'amarrage de la navette Bourane. Installé sur l'un des quatre ports d'amarrage latéraux du module de base, il pourrait permettre à Bourane de venir accoster Mir-2, et serait également utilisé comme un sas pour les sorties dans l'Espace. Si tout se passe comme prévu, le lancement de ce module, baptisé 240GK, devrait avoir lieu en 1996.

Fig. 1 : Le module d'amarrage (SM) de la navette Bourane.
Crédit : Vadim LOUKACHEVITCH.

Mais comme bien souvent dans les affaires spatiales, rien ne se passe comme prévu. Suite à la fin du régime communiste en Union soviétique, le projet Mir-2 s'internationalise et fusionne avec le projet de station spatiale américaine Freedom. En septembre 1993, un avant-projet est présenté : la partie russe de cette nouvelle « Station Spatiale Internationale » sera la première assemblée, et elle comprendra le fameux SO qui servira d'interface avec la partie américaine.

Le premier module à être mis en orbite sera le FGB « Zaria » en mai 1997. Le SO le suivra un mois plus tard et s'amarrera à sa pièce longitudinale (fig. 2a). Ensuite, une navette spatiale américaine s'y amarrera, et le module Zaria se détachera pour venir se réamarrer au SO avec l'une de ses pièces latérales. La navette pourra alors attacher le module Node-1 à la pièce longitudinale (fig. 2b).

Fig. 2 : La séquence d'assemblage telle qu'elle était envisagée en 1994.
Crédit : The International Space Station : From Imagination to Reality.

Mais finalement, en septembre 1994, la NASA trouve ce scenario trop risqué et préfère amarrer directement le Node-1 à Zaria. Le module SO n'est donc plus nécessaire dans la première phase d'assemblage et pourra être lancé plus tard. Il sera alors amarré à un module appelé USM, lui même rattaché au module de service Zvezda.

Mais en janvier 1996, une réforme du projet reporte indéfiniment le lancement de l'USM, et donc du SO. Cela signifie que le segment russe de la station ne disposera pas de sas pour effectuer des sorties dans l'Espace avant très longtemps.

Pour pallier cette situation, il est décidé de construire un second SO, qui sera directement amarré à Zvezda, procurant ainsi une capacité de sorties dans l'Espace. Quand l'USM sera prêt, il prendra la place de ce SO « intérimaire », et par la suite le second SO pourra être installé sur l'USM, comme le plan le prévoyait au départ (le premier SO ne pourra pas être réamarré à l'USM à cause d'un problème de compatibilité des systèmes d'amarrage).

Fig. 3 : Le bâti du module SO-1 « Pirs » en préparation à la RKK Energuia.
Crédit : RKK Energuia.

La construction du SO-1, le 240GK n°1L, débute à la RKK Energuia en 1997 et s'étale jusqu'à l'an 2000. Le petit module est baptisé « Pirs » (Пирс), ce qui signifie en russe le quai, ou la jetée.

Fig. 4 : Essais dynamiques (à gauche) et statiques (à droite) du SO-1 « Pirs ».
Photos : RKK Energuia.

Pour rejoindre la station, les modules SO-1 et SO-2 seront munis d'un compartiment des instruments (PAO) identique à ceux des vaisseaux de ravitaillement Progress. Il fournira la propulsion et l'alimentation électrique pendant le vol autonome, et il sera largué une fois le module amarré.

Fig. 5 : Le module Pirs en préparation à la RKK Energuia.
Crédit : Novosti Kosmonavtiki, RKK Energuia.

Le premier module de la station internationale, Zaria, est mis sur orbite par un lanceur Proton-K le 20 novembre 1998. Le module Unity est ajouté un mois plus tard par la navette américaine Endeavour STS-88, et le module de service Zvezda vient s'y ajouter le 26 juillet 2000.

Fig. 6 : Vladimir POUTINE et Mikhaïl KASSIANOV devant le SO-1
respectivement les 2 décembre 2000 et 13 avril 2001.
Crédit : RKK Energuia, TASS.

Quelques mois plus tard, un premier équipage s'envole vers la station pour commencer son occupation permanente. S'en suivent alors plusieurs vols de la navette spatiale américaine qui permettent d'ajouter les éléments Z1 et P6, le laboratoire Destiny, le sas Quest et le bras manipulateur Canadarm2.

Fig. 8 : Le module Pirs à l'atelier 439 de la RKK Energuia.
De gauche à droite : N.I. BABINE, V.M. YAKOVLEV, E.M. NIKOLAÏEV, Y.E. GOULIANTS,
E.A. BIEZOBRAZOV, O.Y. KALACHNIKOV, ?, A.A. BOGDANOV, N.V. KORECHIOV, V.M. ZAKHAROV,
Y.A. VASSINE, A.A. EPICHINE, N.I. VINOGRADOV, A.S. KRASNOPOLSKI, B.I. KOZHOUKHOV,
A.I. LITVINIENKO, O.A. ZVERIOV, V.A. BESSONOV, A.N. ANDRIKANIS, S.N. BADIEKINE,
V.A. PANICHIOV, E.A. BOULATOV.
Crédit : RKK Energuia.

Le 16 juillet 2001, Pirs est convoyé par voie ferrée jusqu'au cosmodrome de Baïkonour, où il entame sa préparation finale. Sa mise sur orbite au moyen d'un lanceur Soyouz-U se déroule sans incident le 14 septembre 2001. Après un vol autonome d'environ deux jours, il s'amarre à la pièce nadir du module Zvezda et, deux semaines plus tard, le PAO est largué.

Le 19 octobre 2001, les cosmonautes de l'équipage MKS-3 réalisent le premier amarrage sur Pirs en y transférant leur vaisseau Soyouz TM-32.

Fig. 10 : Le segment russe de la Station Spatiale Internationale, 27 juillet 2009.
Crédit : NASA.

Peu de temps après l'adjonction de Pirs à la Station Internationale, le second compartiment d'amarrage, SO-2 (240GK n°2L), est supprimé du planning, notamment en raison des contraintes budgétaires.

En juillet 2004, les partenaires de la Station Internationale décident de passer à des équipages à six cosmonautes à partir 2009. Le segment russe devra comporter quatre pièces d'amarrage pour pouvoir maintenir cette cadence : deux pour les vaisseaux Soyouz, une pour un vaisseau Progress ou ATV, et une pour un troisième Soyouz, afin de pouvoir effectuer les rotations d'équipage.

Or, à ce moment là, le segment russe ne comporte que trois pièces d'amarrage : l'arrière de Zvezda, le nadir de Zaria et Pirs. Le Programme Spatial Fédéral (FKP) pour la période 2006-2015 comprend bien plusieurs nouveaux modules : MLM, IM, NEM, ainsi que deux « Petits Modules de Recherche » (MIM), mais ils ne permettront pas de porter à quatre le nombre de pièces d'amarrage disponibles.

Fin 2005, la RKK Energuia propose d'ajouter le nœud UM, qui résoudrait le problème, et Roscosmos donne son accord en novembre 2006. Mais l'UM doit être amarré sur le module MLM, dont le lancement ne pourra pas être assuré d'ici à la date butoir de 2009.

Ainsi, à l'été 2007, RKK Energuia dévoile un plan de secours : préparer d'ici à la fin de l'année 2009 une copie de Pirs qui sera amarrée sur Zvezda et fournira le quatrième port d'amarrage. Ce nouveau module remplace le Petit Module de Recherche n°2, il lui prend donc son nom et devient le MIM-2.

Fig. 11 : Les cosmonautes inspectent le MIM-2 chez RKK Energuia, 9 et 10 juin 2009.
Crédit : RKK Energuia.

Ce nouveau planning est approuvé par Roscosmos le 9 novembre 2007, et le développement du MIM-2 commence chez RKK Energuia. En septembre 2009, le module est livré au cosmodrome de Baïkonour. Il reçoit le nom de baptême « Poïsk » (Поиск), ce qui signifie la Recherche.

Fig. 12 : Les cosmonautes inspectent le MIM-2 chez RKK Energuia, 16 et 17 juin 2009.
Crédit : RKK Energuia.

Le lancement a lieu le 10 novembre 2009, plus de huit ans après celui de Pirs. Le module rejoint le module Zvezda deux jours plus tard, et en janvier 2010 le vaisseau Soyouz TMA-16 vient s'y amarrer pour la première fois.

Le module Pirs, quant à lui, est séparé de Zvezda le 26 juillet 2021 à 10h55'33" GMT par le vaisseau Progress MS-16, puis désorbité le jour-même. Il laissera ainsi sa place au module Nauka.

Fig. 13 : Progress MS-16 emmène le module Pirs.
Crédit : Roscosmos.


Dernière mise à jour : 7 janvier 2023