DOS | La seconde génération

1. Les débuts laborieux de Saliout-6

A la NPO Energuia, l'accord passé entre MICHINE et TCHELOMEÏ en avril 1972 semble oublié. Il prévoyait de stopper le programme DOS à la fin de l'exploitation de la quatrième station mais, dorénavant, les plans font état d'une cinquième. Ce nouvel engin, qui prendra la suite de Saliout-4, sera d'une nouvelle génération et verra ses capacités logistiques encore augmentées.

Les ingénieurs peaufinent en effet le vaisseau de ravitaillement Progress (7K-TG) qui pourront rejoindre la future station en utilisant sa seconde pièce d'amarrage SSVP. L'ajout de celle-ci impose toutefois de revoir complètement l'architecture du système de propulsion.

En septembre 1975, sept équipages sont formés pour occuper la prochaine station. Chacun d'eux est composé d'un commandant issu des Forces aériennes et d'un ingénieur de bord issu de la NPO Energuia.

Equipage n°1 Equipage n°2 Equipage n°3 Equipage n°4
Commandant KOVALIONOK ROMANENKO LIAKHOV POPOV
Ingénieur de bord RIOUMINE IVANTCHENKOV GRETCHKO ANDREÏEV
Tableau 1.1 : Composition des quatre premiers équipages de la station DOS-7K n°5, en 1976.

Un évènement important intervient le 13 juillet 1976, à Moscou, quand un accord multinational autorise les nations membres du programme de coopération Intercosmos à participer aux vols habités soviétiques. Cela signifie que chacun des neuf pays membres pourra faire voler gratuitement l'un de ses ressortissants à bord des stations DOS. Outre l'URSS, les membres du comité Intercosmos sont la République Démocratique Allemande, la Bulgarie, Cuba, la Hongrie, la Mongolie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie.

Fig. 1.1 : L'Académicien ALEKSANDROV signe l'accord du 13 juillet 1976.
Crédit : TASS.

Les cosmonautes étrangers seront intégrés à des Expéditions de Visite (EP), qui effectueront des missions de courtes durées pour visiter les Expéditions Principales (EO). Chaque équipage EP reviendra sur Terre avec le vaisseau déjà amarré à la station, ce qui permettra d'augmenter indéfiniment la durée des séjours des équipages EO.

Le programme prend quelques mois de retard, mais la cinquième DOS est lancée le 29 septembre 1977. La mise sur orbite se déroule sans incident et l'occupation peut commencer. La nouvelle station est baptisée Saliout-6.

Fig. 1.2 : Vue d'artiste de Saliout-6 en orbite.
Un vaisseau Soyouz est amarré à l'arrière et un autre s'approche du port avant.
Crédit : DR.

Le vaisseau Soyouz-25 décolle de Baïkonour le 9 octobre 1977 et part rejoindre Saliout-6. Mais les cosmonautes Vladimir KOVALIONOK et Valeri RIOUMINE, qui effectuent tous les deux leur premier vol spatial, ne parviennent pas à s'amarrer et doivent rentrer sur Terre sans avoir pu accomplir leur mission.

En conséquence de cet échec, il est décidé que dorénavant tous les équipages devront comporter au moins un membre qui a déjà volé dans l'Espace. On note que le deuxième équipage prend officiellement la désignation EO-1, comme pour faire oublier la mission ratée de Soyouz-25.

EO-1 EO-2 EO-3 EO-4
Commandant ROMANENKO KOVALIONOK LIAKHOV POPOV
Ingénieur de bord GRETCHKO IVANTCHENKOV RIOUMINE LEBEDEV
Tableau 1.2 : Composition remaniée des équipages de Saliout-6, en 1977.

2. L'exploitation de Saliout-6

La pièce d'amarrage avant de Saliout-6 étant suspectée d'avoir été endommagée par Soyouz-25, la prochaine mission devra donc s'amarrer par l'arrière. ROMANENKO et GRETCHKO décollent à bord de Soyouz-26 le 10 décembre 1977, moins de deux mois après l'échec de la précédente mission. Le lendemain, ils amarrent leur vaisseau sans aucun problème à l'arrière de la station.

Un peu plus d'une semaine après leur arrivée sur Saliout-6, le 19 décembre 1977, ils réalisent une sortie dans l'Espace pour inspecter la pièce d'amarrage avant, qui s'avère être en très bon état. Les astronautes américains de Skylab, quelques années plus tôt, avaient déjà réussi ce genre d'opérations, mais sortir dans l'Espace depuis une station est une grande première pour les Soviétiques. ROMANENKO et GRETCHKO ont utilisé les nouveaux scaphandres Orlan-D. Un nouveau grand succès va bientôt s'ajouter au palmarès de cette mission.

Fig. 2.1 : Gueorgui GRETCHKO à bord de Saliout-6, avec son scaphandre Orlan-D.
Crédit : TASS.

Le 11 janvier 1978, le vaisseau Soyouz-27 de Vladimir DZHANIBEKOV et Oleg MAKAROV s'amarre à l'avant de Saliout-6. C'est la première fois dans l'Histoire que trois vaisseaux volent ensemble dans l'Espace. Cet évènement ouvre la voie à une occupation permanente de l'orbite terrestre, car il montre que les relèves d'équipages sont possibles. Après cinq jours sur la station, DZHANIBEKOV et MAKAROV retournent sur Terre non pas à bord de leur Soyouz-27, mais du Soyouz-26 de ROMANENKO et GRETCHKO, autorisant ces derniers à rester plus longtemps sur orbite.

Un autre évènement intervient le 22 janvier 1978, quand le premier vaisseau ravitailleur 7K-TG, baptisé Progress-1, s'amarre à l'arrière de Saliout-6. Il apporte vivres, oxygène et ergols aux cosmonautes.

Fig. 2.2 : Progress-1 approche de Saliout-6, le 22 janvier 1978.
Crédit : INA.

Ensuite, le 3 mars 1978, un nouvel équipage vient rendre visite à ROMANENKO et GRETCHKO à bord de Soyouz-28. Il s'agit du premier vol réalisé dans le cadre du programme Intercosmos, qui permet à Alekseï GOUBAREV et au Tchécoslovaque Vladimír REMEK de passer une semaine sur la station. L'équipage principal rentre sur Terre six jours plus tard, et bat le record américain de longévité en orbite : le vol a duré quatre-vingt-seize jours, contre quatre-vingt-quatre pour le plus long vol Skylab.

La mission réussie de EO-1 est suivie trois mois plus tard de celle EO-2, avec KOVALIONOK et IVANTCHENKOV. Durant leur séjour, qui dure 139 jours, les deux hommes reçoivent trois vaisseaux Progress et deux Soyouz avec des cosmonautes de Pologne et d'Allemagne de l'Est.

Fig. 2.3 : L'équipage EO-2 avec les cosmonautes de Soyouz-31 à bord de Saliout-6.
Crédit : TASS.

Le 25 février 1979, c'est le tour de EO-3, avec LIAKHOV et RIOUMINE. Le 10 avril 1979, un premier équipage de visite part à leur rencontre dans le cadre d'une mission réalisée en coopération avec la Bulgarie. Mais elle se solde par un échec suite à la défaillance du moteur principal du vaisseau Soyouz-33. L'équipage parvient toutefois à revenir sur Terre sain et sauf.

Or, le Soyouz-32 de LIAKHOV et RIOUMINE va atteindre la fin de sa durée de vie garantie, et comme Soyouz-33 n'a pas pu jouer son rôle de remplaçant, il faut lancer Soyouz-34 sans cosmonautes à bord. C'est avec ce vaisseau que l'équipage principal revient sur Terre après avoir accompli sa mission de 175 jours, battant une nouvelle fois le record de durée.

Fig. 2.4 : LIAKHOV à bord de Saliout-6, pendant le vol EO-3.
Crédit : TASS.

En mars 1980, POPOV et LEBEDEV se préparent à décoller à bord de Soyouz-35 le mois suivant, mais LEBEDEV se blesse et doit être remplacé. C'est Valeri RIOUMINE, à peine rentré sur Terre qui est choisi, et les deux hommes décollent le 9 avril 1980 pour la quatrième expédition principale (EO-4).

Ils reçoivent la visite de Soyouz-36 avec le premier cosmonaute hongrois, de Soyouz-37 avec le premier cosmonaute vietnamien puis de Soyouz-38 avec le premier cosmonaute cubain. Soyouz T-2 vient aussi s'amarrer à Saliout-6 dans le cadre d'un vol de courte durée qui permet de qualifier ce vaisseau de nouvelle génération. La mission EO-4 se termine en octobre 1980 après 185 jours, ce qui est un nouveau record. Aux Etats-Unis, aucun vol habité n'a eu lieu depuis cinq ans.

Fig. 2.5 : RIOUMINE et POPOV après l'atterrissage de Soyouz-37.
Crédit : TASS.

En novembre 1980, alors que Saliout-6 est inoccupée, un équipage de courte durée y est envoyé à bord de Soyouz T-3. Cette nouvelle génération permet d'emporter trois membres d'équipage au lieu de deux, équipés du nouveau scaphandre Sokol-KV-2. KIZIM, STREKALOV et MAKAROV passent deux semaines sur orbite puis reviennent sur Terre sans incident.

Le 12 mars 1981, l'expédition EO-5 est envoyée sur Saliout-6 à bord du vaisseau Soyouz T-4. Comme la station est en fin de vie, la Commission d'Etat craint que l'équipage principal, peu expérimenté, ne pourra pas faire face aux importantes activités de maintenance qui seront nécessaires, et décide d'envoyer l'équipage de réserve, plus expérimenté et mieux entraîné.

Les cosmonautes KOVALIONOK et SAVINYKH seront les derniers à occuper la station. Au cours de leur vol de soixante-quatorze jours, ils reçoivent la visite de Soyouz-39 avec un cosmonaute mongole et de Soyouz-40 avec un cosmonaute roumain.

Fig. 2.6 : Soyouz T-4 amarré à Saliout-6, vus depuis Soyouz-40.
Crédit : TASS.

Aucun équipage supplémentaire n'ira occuper Saliout-6, qui a atteint la fin de sa durée de vie maximale, mais un prototype du vaisseaux TKS, baptisé Cosmos 1267, vient s'y amarrer le 19 juin 1981 dans le cadre de ses essais en vol. C'est lui qui freine la station le 29 juillet 1982 pour provoquer sa rentrée dans l'atmosphère et mettre ainsi un terme à son exploitation.

3. La station Saliout-7

Moins d'un an après la fin de l'occupation de Saliout-6, la nouvelle station DOS n°5-2 s'apprête à être lancée. Un lanceur Proton-K (8K82K) la place sur orbite le 19 avril 1982 et elle reçoit le nom de Saliout-7.

Fig. 3.1 : La station Saliout-7 à Baïkonour.
Crédit : TASS.

Un mois plus tard, le premier équipage vient la rejoindre à bord de Soyouz T-5. BEREZOVOÏ et LEBEDEV reçoivent quatre vaisseaux Progress et deux équipages de visite : le premier avec le cosmonaute français Jean-Loup CHRETIEN, et le second avec la deuxième cosmonaute féminine du monde, Svetlana SAVITSKAÏA. EO-1 rentre sur Terre en décembre 1982 après un vol d'une durée record de 211 jours.

Peu après, compte tenu du fait que les nouveaux Soyouz T peuvent accueillir trois cosmonautes, Aleksandr SEREBROV est rajouté à l'équipage EO-2 en tant que cosmonaute-chercheur. TITOV, STREKALOV et SEREBROV décollent à bord de Soyouz T-8 en avril 1983, mais ne parviennent pas à s'amarrer à Saliout-7 et doivent rentrer sur Terre.

Seulement deux mois plus tard, en juin 1983, LIAKHOV et ALEKSANDROV partent mener à bien la mission EO-2 à bord de Soyouz T-9. Un panneau solaire ne se déploie pas, mais le programme de vol peut quand même être accompli.

Fig. 3.2 : LIAKHOV à bord de Saliout-7, pendant le vol EO-2.
Crédit : TASS.

En septembre 1983, pour la première fois, un équipage permanent va être relevé au terme de sa mission. Mais le lancement de l'équipage de relève est un échec, et les cosmonautes TITOV et STREKALOV sont sauvés par le Système de Sauvetage d'Urgence (SAS) de leur vaisseau. LIAKHOV et ALEKSANDROV ne sont donc pas relevés et finissent par rentrer sur Terre en novembre 1983 après une mission de 149 jours.

Une nouvelle mission est lancée en février 1984 avec Soyouz T-10. KIZIM, SOLOVIOV et ATKOV reçoivent deux équipages de visite et cinq vaisseaux Progress, effectuent six sorties dans l'Espace puis ils reviennent sur Terre en octobre 1984. Leur vol aura duré près de 237 jours, et c'est un nouveau record.

Fig. 3.3 : Leonid KIZIM lors d'une sortie dans l'Espace, pendant le vol EO-3.
Crédit : TASS.

En février 1985, alors que Saliout-7 est encore inhabitée, le TsUP en perd subitement le contrôle. Les communications sont interrompues et il est impossible d'envoyer un vaisseau automatique. La seule solution est de mettre en place une mission de sauvetage. Les cosmonautes DZHANIBEKOV et SAVINYKH embarquent sur Soyouz T-13 en juin 1985, réussissent à s'amarrer à Saliout-7 et passent 112 jours à remettre la station en état. L'opération est un succès et ouvre la voie à de nouvelles expéditions.

Soyouz T-14, piloté par VASSIOUTINE, VOLKOV et GRETCHKO, est lancé le 17 septembre 1985, juste avant le retour de DZHANIBEKOV et SAVINYKH. Les cosmonautes procèdent alors à la première relève (partielle) d'équipage sur orbite : DZHANIBEKOV rentre sur Terre avec GRETCHKO, tandis que SAVINYKH reste dans l'Espace en compagnie de VOLKOV et VASSIOUTINE. Cette mission EO-4/2 s'achève prématurément en novembre 1985 après seulement 65 jours quand VASSIOUTINE tombe malade et doit être rapatrié.

4. La transition avec la station Mir

Il ne reste alors qu'un seul vaisseau Soyouz-T disponible (Soyouz T-15), et la mission de visite à EO-4/2 qu'il devait effectuer est annulée. Il semble alors que la fin de l'exploitation de Saliout-7 soit arrivée.

A la fin de l'année 1985, un engin de quatrième génération (DOS n°7) est en effet en train de voir le jour à la NPO Energuia : la station Mir. Le vaisseau Soyouz T-15, qui s'est retrouvé sans affectation suite à l'annulation de la dernière mission de visite à Saliout-7, est réquisitionné pour mener à bien la première occupation du nouveau fleuron de la technologie spatiale soviétique.

Mir est lancée avec succès en février 1986, et Soyouz T-15 la rejoint peu de temps après. Les cosmonautes KIZIM et SOLOVIOV activent la nouvelle station, et le 5 mai 1986 ils embarquent à bord de leur vaisseau pour réaliser une grande première dans l'Histoire de la Cosmonautique : ils vont effectuer un vol de station à station !

En effet, l'occupation de Saliout-7 a été stoppée prématurément et une grande quantité de matériel scientifique est restée à son bord. Comme elle est encore en orbite et en parfait état de marche, il est décidé d'y faire une excursion pour récupérer certains instruments.

Les cosmonautes restent finalement près de deux mois sur Saliout-7, y effectuent deux sorties dans l'Espace puis retournent sur Mir. Ce sera la fin de la dernière Saliout.

Mais comme on l'a dit, le programme DOS ne s'arrête pas là. Deux stations seront encore lancées : outre le module de base de la station Mir, on n'omettra pas le module Zvezda, véritable pierre angulaire de la Station Spatiale Internationale.

Fig. 4.1 : Le module Zvezda de la Station Spatiale Internationale : la huitième DOS.
Crédit : DR.

Ainsi, plus de quarante ans après le décret du 9 février 1970, une station DOS continue de tourner autour de la Terre.